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Tanguy Chatel : la relation humaine est un miracle et c'est tout simple

Tanguy Châtel, bénévole :
«La relation humaine est un miracle et c’est tout simple »

                                Le magazine PREVOIR, mars 2010

 
Après avoir été avocat, puis, pendant 15 ans, chargé de la réforme administrative du ministère de l’Éducation nationale, Tanguy Châtel a choisi de se consacrer à la promotion des soins palliatifs et à la diffusion de leur culture. Depuis 10 ans, il est accompagnant bénévole auprès des personnes en fin de vie, actuellement à la maison médicale Notre-dame du Lac à Rueil-Malmaison (92). Il a soutenu en 2008 une thèse de sociologie sur cette question et se consacre depuis à la formation des professionnels de santé et des bénévoles ainsi qu’à la sensibilisation du grand public.

 

Comment êtes-vous venu aux soins palliatifs ?

Les soins palliatifs font parfois irruption dans la vie des gens parce qu’un proche est malade, ce n’est pas mon cas. Pour moi, cela a d’abord été des questionnements personnels autour de la relation à l’autre en général, puis je suis tombé sur des lectures passionnantes (comme certains livres de Marie de Hennezel). Mais le vrai facteur déclencheur a été des rencontres humaines et des témoignages directs d’accompagnants. J’ai été touché. Je crois qu’on ne peut s’engager dans ce domaine particulier que quand on est touché.

  Vous en parlez comme d’une sorte de vocation…

Oui, il y a une forme de vocation dans l’accompagnement de fin de vie : on se sent appelé à cela ou pas. Pourquoi va-t-on vers cela plutôt que vers un autre type de bénévolat ? En revanche, on n’y va pas sur une simple impulsion, c’est un processus, mûrement réfléchi. Entre le moment où j’ai été touché (j’avais 30 ans à l’époque) et celui où j’ai pris contact avec l’association ASP Fondatrice (1), il s’est passé cinq années, pendant lesquelles j’ai mûri cette idée.  Et même là, le passage à l’acte n’a pas été immédiat : mon recrutement a été effectif au bout d’un an.

  Comment s’effectue le processus de recrutement  des bénévoles ?

Cela commence par l'envoi d'un questionnaire : Quel est votre rapport à la mort, à la souffrance ? Pourquoi envisagez-vous de vous engager ? Il est demandé de mûrir ses réponses pour bien prendre la mesure de l’engagement. Suivent deux entretiens, avec un psychologue et un bénévole expérimenté, qui permettent au candidat d’affiner ses motivations. Ensuite, il y a une formation initiale : pendant 3 jours  des soignants et des non soignants viennent exposer la réalité des soins palliatifs. Il s’agit toujours de vérifier qu'il n'y a pas de distorsion entre l'image que se fait le candidat et la réalité. Enfin, le candidat est affecté à une équipe et parrainé par un bénévole expérimenté. Au bout de 2 ou 3 mois, une dernière formation valide l'engagement.

 

Tous les candidats vont-ils jusqu’au bout de ce parcours ?

Beaucoup renoncent, mais leur démarche fait déjà évoluer l’idée des soins palliatifs dans la société. Beaucoup de candidats ne sont pas acceptés, soit parce qu’ils sont manifestement mal dans leur peau, ou idéalistes. Soit parce que c’est trop tôt dans leur vie. Les refus temporaires visent par exemple quelqu'un qui vient de perdre un parent, (il sera accepté une fois le deuil accompli), ou un soignant en activité, parce qu’il risque de parasiter le travail des autres soignants. Il faut toujours veiller à ce que les équilibres ne soient pas remis en cause par des recrutements de mauvaise qualité.

Comment sont considérés les accompagnants par le milieu médical ?

Dans les services hospitaliers, les bénévoles sont parfois désirés, mais souvent tolérés... Il nous faut faire la preuve que nous ne remettons pas en cause l'institution, et que nous ne faisons courir de risque à personne. C'est une place fragile : dès qu'il y a un couac avec un bénévole, cela rejaillit sur toute l'équipe soignante. Et c'est normal. Nous ne sommes pas des professionnels et nous ne devons pas être une entrave dans l’organisation des soins.

  Quelle est la différence entre un accompagnant et un visiteur hospitalier ?

La formation. Les bénévoles participent à des groupes de paroles toutes les trois semaines, avec un psychologue pour affiner leur pratique de l'accompagnement, pour comprendre pourquoi à tel moment la relation n’a pas été juste, pourquoi telle attitude était erronée... Les visiteurs hospitaliers ne sont pas soumis à ces exigences éthiques, lesquelles rebutent d’ailleurs pas mal de candidats. 
Moi, j'ai été captivé par cette haute exigence et en même temps par le fait que c'est d'une très grande simplicité. Quand vous êtes au chevet de quelqu'un, la première chose, c'est d'être conscient que vous êtes largement démuni. Et c'est parce qu'on est impuissant qu'on est agissant. Le malade lui-même se vit souvent aussi comme quelqu'un d’impuissant. On peut mieux se rencontrer parce qu'on réduit la différence… C’est au bénévole de mettre un peu en retrait sa bonne santé pour atténuer ce fossé entre lui et la personne alitée, afin de créer un espace d'intimité où une vraie relation peut s'installer, même si elle dure 3 minutes ou 3 heures. Il y a une alchimie de la relation qui est assez fascinante.

  Quelles difficultés rencontrent les accompagnants ?

C’est être capable de considérer chaque accompagnement comme si c’était le premier, même si on s’est déjà rencontré, même si on a déjà échangé des choses. L’état d’esprit d’une personne en fin de vie est très fluctuant : elle peut passer de la confiance à la dépression, un événement a pu survenir, elle peut vous avoir oublié. Face à cela, deux vertus : d’une part, arriver en étant neuf et d’autre part, se dire en quittant une personne, qu’on n’est pas sûr de la revoir la semaine suivante. Pour bien accompagner, il est préférable de ne pas  chercher à inscrire la relation dans la continuité. Cela permet aussi d’éviter de trop s’attacher, puisqu’il faudra bien se détacher…

  N’y-a-t-il pas aussi risque d’usure ?

 
C'est beaucoup moins usant qu'on le croit ! D’abord on est très bien soutenus au sein de nos groupes de parole. Ensuite, on reçoit énormément de la part des malades affectivement, intellectuellement et même spirituellement. Même en toute fin de vie, il y a des partages qui se révèlent être extrêmement vivifiants. Certains bénévoles font cela depuis 20 ans, d’autres se désengagent au bout de quelques années, mais pas toujours par usure. Ce n’est d’ailleurs pas parce qu’on fait cela depuis longtemps qu’on le fait mieux qu’un débutant ! L’expérience n’est pas forcément un gage de meilleur accompagnement.

  Pourquoi ?

Quand on est expérimenté, on risque d’être moins réceptif à ce qui se passe : on a tendance à ramener telle situation à une autre déjà vécue, à ce qu’on croit savoir. On peut aussi être tenté de donner des leçons aux autres bénévoles, parfois aux soignants. Il faut se méfier.

  Quelles sont les qualités indispensables pour accompagner les mourants ?

Pour être correctement présent auprès de quelqu’un il faut déjà l’être auprès de soi-même. Cela suppose d’être relativement au clair avec soi-même. Accompagner en fin de vie, c’est d’abord se mettre au diapason de l’autre et non pas rechercher son propre plaisir, des émotions… Mais il ne faut pas pour autant écarter sa sensibilité, car sinon on n’accompagne pas. C’est assez simplement signifier des gestes aimants au cœur d’une relation qui soit pleinement respectueuse du chemin de l’autre.
En résumé, je dirais qu‘il savoir accepter ses propres limites, se reconnaître plutôt impuissant à faire quelque chose pour l'autre mais pas impuissant à être là, se rendre présent autant que possible, à soi comme à l'autre. Pour cela, il faut se préparer un peu en amont, s'accorder un peu de temps avant d’entrer dans une chambre (on ne va pas voir un malade en pensant à sa feuille d’impôts !). C'est une école de sagesse : une belle opportunité d'apprendre à vivre dans l'instant présent. On est face à des gens qui n'ont plus vraiment de projet : cela nous invite à entrer dans la relation en ayant également le minimum de projets. C'est quelque chose d'accessible, cela ne nécessite pas des heures de méditation transcendantale… C'est tout simple.

  Y-a-t-il toujours échange ?

Même si apparemment, il ne se passe pas grand chose, ce n'est jamais totalement stérile. Déjà, cela vous interroge sur vous-même : pourquoi ne s'est-il rien passé ? était-on disponible ? Au bout de 10 ans de bénévolat, je ne suis jamais ressorti d'une chambre en me disant que j'avais perdu mon temps.
En même temps, il faut aussi compter avec ses propres limites : il m'est arrivé de ne pas pourvoir aller au chevet d'un jeune homme ou d'une mère de 3 enfants qui avait l'âge de ma femme… Je prends cette liberté d'aller voir ou pas telle personne. Au nom de quel devoir devrais-je m'imposer une visite ? Je ne suis pas là par devoir. Se respecter soi-même, c'est aussi respecter l'autre, parce qu'on est sur des hypothèses de rencontres et pas simplement de dons. Les relations ne sont pas à sens unique. Si notre motivation était juste de donner, on s'épuiserait en quelques mois…

  Et avec les personnes qui ne peuvent plus communiquer ?

L’accompagnement ne passe pas que par la parole, mais par une qualité de présence bienfaisante. Face à une personne qui n’entend pas, ne parle pas et parfois sans la toucher, le seul fait d’être là lui manifeste qu’elle n’est pas seule. En dehors de la douleur physique, la souffrance psychique est essentiellement  liée à la solitude. Même si la personne est dans le coma, l’accompagnement n’est pas un obstacle, en tout cas, ce n’est pas néfaste. Il y a là une forme de pari. De plus, il y a suffisamment de gens qui, après un coma, ont attestés qu’ils avaient été sensibles à ce qui se passaient autour d’eux, pour ne pas prendre cela à la légère.

Comment voyez-vous l’avenir des soins palliatifs ?


Théoriquement, même si c'est encore peu répandu, les soins palliatifs commencent dès l'annonce de la maladie grave, avec un soutien physique et psychique. Mais il y a une très grande méconnaissance du corps médical dans son ensemble autour de la réalité des soins palliatifs, qui sont encore très connotés fin de vie alors qu'il s'agit de qualité de vie jusqu'au bout. Ce qu'on appelle la culture palliative, c'est-à-dire cette manière d'être vis-à-vis de la personne malade, ce souci de préserver la qualité de vie a vocation à sortir des unités de soins palliatifs pour gagner le monde curatif, le monde de la gériatrie, de la pédiatrie… C'est un  état d'être qui fait partie de la relation soignant-soigné où qu'elle se pratique. Trop souvent les soignants mettent avant la technique, essentielle évidemment, mais on ne doit pas faire l'économie de la relation.

Votre conclusion ?

Si l’on va voir des gens en fin de vie, ce n'est pas parce qu'on aime voir des gens souffrir, c'est parce qu’on est aux portes du mystère de l'être humain. La culture palliative est d'une immense portée sociétale, car elle est porteuse d'une transformation du regard sur l'être humain. Et ce sont des gens ordinaires qui véhiculent cela discrètement. La face visible de la société est celle de la performance, mais derrière, des tas de choses se passent qui sont en train de la transformer profondément… Les acteurs des soins palliatifs sont quelque part des résistants à un certain modèle de société et en même temps les promoteurs d'un autre modèle : ils transforment le monde, non dans le débat d'idées, mais en allant simplement rendre une visite dans une chambre d'hôpital. C'est super.

Propos recueillis par Evelyne Simonnet