L’accompagnement à domicile
Docteur Noëlle Vescovali Directrice du Réseau de Santé LE PALLIUM (1)(Yvelines) Secrétaire Générale de l’Union Nationale des Réseaux de Santé (UNR.santé)
Deux histoires pour une mise en perspective
►Jeanne-Françoise Chabot, épouse Garnier, née le 16 juin 1811, a été très tôt confrontée à la mort et à l’accompagnement, perdant un premier enfant en couches, puis coup sur coup son mari et sa fille. Elle n’a alors que 24 ans. Après quelques années de désespoir, Jeanne Garnier ira « visiter les pauvres » chez eux et devant sa grande ardeur, on lui réservera les visites les plus éprouvantes. On raconte qu’un jour à Lyon, elle entendit du fond d’une mansarde gémir une femme dont la misère était extrême et l’état de santé très altéré : par ses soins, sa patience et sa compassion, elle accompagnera cette femme jusqu’à ses derniers instants dans ce lieu insalubre. C’était en 1842. Cette rencontre sera déterminante et révélera à Jeanne Garnier que les « incurables » ne doivent pas être abandonnés de tous, ni même des hôpitaux, ce qui était alors le cas. « Son souci sera alors de soulager, de consoler, de panser les plaies des incurables. L’événement est décisif. La mansarde est le « berceau » du Calvaire (2) » en quelque sorte le premier domicile du mouvement des soins palliatifs. Aidée de quelques veuves, Jeanne Garnier créa alors l’Association des Dames du Calvaire. ►La seconde histoire est celle, racontée par une amie, d’un accompagnement en 1955 dans une ferme d’un village de la campagne bretonne. C’était la cousine de son père qui se mourait… « Une seule pièce principale constitue la maison avec des lits clos : la cousine, on l’a mise dans le lit clos le plus près de la cheminée pour qu’elle ait chaud et pas trop loin de la table commune afin de pouvoir veiller sur elle. La famille a senti intuitivement que la maladie était arrivée à un stade très grave et n’a pas appelé le médecin. On ne croyait pas à ses pouvoirs et de toute façon il enverrait la cousine à l’hôpital, et alors, on était sûr qu’elle ne reviendrait pas. On a donc fait appel aux guérisseuses ou aux guérisseurs. On lui a donné des plantes, on a dit des prières de guérisseurs (litanies), et fait des gestes rituels. La fin de vie n’était pas taboue. La maladie faisait partie de la vie de tous les jours. Il y avait toujours dans une maison ou une autre un mort de-ci de-là. Une bouteille d’eau bénite est posée là, rapportée par quelqu’une, de Lourdes ou d’ailleurs. On en asperge le front de la malade pour soulager sa douleur. Cela marche un peu… On a allumé un cierge en permanence pour signifier l’entrée dans le domaine sacré et préparer le passage vers l’au-delà. Les gens de la maison aident à la toilette et une personne spécifique du village est venue aider, par habitude. Son rôle (bénévole) est de soutenir les proches s’ils sont fatigués (enfants, ferme à tenir, animaux). Il s’agit surtout des femmes. On a toujours fait en sorte que la cousine soit « propre sur elle, même si l’eau courante n’était pas là. L’entourage prévoyait ouvertement les obsèques. On faisait alors les préparatifs, les voisins aidaient, tout le monde y compris la mourante, qui savait qu’elle allait mourir. On a parlé, on a écouté ce que la cousine avait à dire car ce pouvait être important, parfois des messages à faire passer. On entendait les râles de la mourante. Tout cela a été commenté par tous et on a tenté de trouver des solutions : on pourrait la soulever un peu, on pourrait lui mettre un cataplasme… . Chacun y allait de sa petite phrase. La douleur était perçue comme naturelle, quelques décoctions pouvaient faire un peu d’effet, mais de toute façon les malades souffraient. Entendre les râles était une façon d’évaluer le degré de souffrance.
Rendre visite à la mourante faisait partie du rituel : tout le village, les proches, la famille lointaine, dont moi qui avais dix ans, sont alors venus visiter la cousine. Ce fut convivial, on a partagé un verre de cidre, du pain avec du beurre salé, de la bouillie d’avoine…
Les querelles ancestrales disparaissaient à ce moment-là, provisoirement, comme par miracle ... Une admiration régnait pour le mourant, un grand respect. Oh ! celui là il a souffert !!, disait-on, il mérite bien d’aller tout droit au paradis ! (Même si cette personne n’avait pas mené une vie bien appréciée des autres). La Bretagne était alors très croyante, de religion catholique, teintée de croyances anciennes druidiques ou autres. Puis à un moment, on a dit que la cousine entrait en agonie… . L’agonie ne durait pas longtemps. « On est alors parti chercher le curé qui a donné l’extrême onction afin que la cousine parte en paix. C’était plus important que le docteur. Parfois les religieuses rendaient visite aux mourants. Il y avait des « intersignes », les proches pressentaient la mort, ils entendaient passer la charrette de l’Ankou qui venait chercher les âmes. Les femmes de marins rêvaient bien de leur mari la nuit où il mourait…Ou bien quelqu’un partait au marché et rencontrait l’Ankou qui lui avait dit : je viens chercher son âme. Alors, de ferme en ferme, les prieuses allaient annoncer le décès et prier ». Cette anecdote est emblématique des pratiques d’accompagnement des mourants dans les campagnes. Elles se sont poursuivies jusque dans les années 60.
De grandes avancées ces 25 dernières années
Les soins palliatifs se sont beaucoup développés en France depuis ces temps passés dès les années 1980 et en premier à l’hôpital : création d’Unités de Soins Palliatifs, d’Equipes Mobiles de Soins Palliatifs. Parallèlement, les deux grandes associations de bénévoles d’accompagnement JALMALV (3) et ASP ont considérablement œuvré pour la diffusion de la démarche palliative à travers le public et auprès du monde de la santé. Le développement des soins palliatifs à domicile a été plus tardif. La volonté des équipes soignantes du domicile a néanmoins été, depuis toujours, de pouvoir prendre en charge leurs patients jusqu’au bout. Les médecins de famille, les infirmières, les « bonnes sœurs » accompagnaient tant bien que mal leurs patients. Mais la lourdeur de telles prises en charge pour les soignants, de par le manque de co-intervenants et d’absence de formation dans le soulagement de la douleur et des symptômes complexes, avait souvent fait choisir à regret l’hospitalisation. C’était le confort et la sécurité du malade qui entraînaient ce choix.
La formation des professionnels de santé du domicile s’est progressivement mise en place : - séminaires de formation continue dans le traitement de la douleur, - accès au Diplôme Universitaire de soins palliatifs et d’accompagnement pour les médecins généralistes et les infirmières libérales.
Des alternatives à l’hospitalisation sont alors pensées, le plus souvent par les acteurs professionnels eux-mêmes, suivis de près par les pouvoirs publics qui proposèrent dispositifs et lois.
►Du côté des soins ambulatoires, sont créés les SSIAD (4) , les services d’HAD (5) et les services d’aide à la personne. La médecine libérale est là de tout temps. Le maintien à domicile commence à être privilégié par les pouvoirs publics, pour exemple la création du fonds FNASS (6) permettant l’attribution à un patient, à sa famille, d’une aide financière de l’Assurance Maladie destinée à la prise en charge de matériel spécifique, d’heures de présence d’une auxiliaire de vie ou de la formation de ces auxiliaires.
En 1947, le principe du Home Care fait son apparition en France, permettant le déplacement des médecins hospitaliers au domicile des patients. En 1951, une première expérience d’hôpital à domicile est réalisée par le professeur Fred Siguier à l’Hôpital Tenon à Paris. En 1957 est créée l’HAD de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris. L’objectif est de désencombrer les hôpitaux et d’offrir un relais de soins et de confort au malade en s’appuyant sur la médecine libérale. En 1958 la première HAD privée est créée, l’Association Santé-Service (loi 1901) à Puteaux.
Les structures d’HAD se sont ensuite multipliées : leur ambition est de permettre une prise en charge à domicile de qualité et de technicité comparable à celles de l’hôpital, pour un patient, par exemple en fin de vie. Ces structures sont de culture et de fonctionnement très hospitaliers.
A ce jour, 25 à 30% de l’activité des HAD est liée à des prises en charge palliatives (7) . En 1996, on disposait de 2 356 places d’HAD ; en 2006 de 7 266 places. L’objectif, qui était celui de 8 000 places en 2006 (Plan Urgences) est de 15 000 en 2010 (Plan Solidarité Grand Age) (8).
Mais les prises en charge palliatives ne nécessitent pas toujours l’intervention d’une HAD. Celle-ci est plutôt réservée à des patients gravement malades, avec une charge lourde en soins. Les HAD acceptent toutefois des patients moins « lourds », particulièrement s’ils sont en soins palliatifs. Quoi qu’il en soit, ces malades ne seront pas pris en HAD tout au long de leur parcours de soins qui peut parfois durer des mois, voire des années. L’HAD n’intervient que sur une portion du trajet du patient dans son parcours de soins.
Les SSIAD ont une place très importante car ils se situent entre le sanitaire et le médico-social. Ils proposent des aides soignantes qui, encadrées par une infirmière coordinatrice, se déplacent au domicile des personnes dépendantes, quel que soit l’avancement de leur maladie, dès qu’il y a un degré de dépendance évalué, pour réaliser toilette et soins de nursing. Leur travail est essentiel dans la prise en charge à domicile des patients en soins palliatifs. Ils sont amenés également à être développés et le nombre de places à croître de manière importante. Les services d’aide à la personne voient tout d’abord le jour lorsque la France sort de la guerre : en 1945 l’ADMR (9) , finalement créée en 1976, a fait ses premiers pas dans le milieu rural, à l’initiative de François Romatif et Marie Godinot, fondateurs du mouvement issus du Mouvement Familial Rural (MFR). L’objectif est double d’emblée : aider les uns dans les tâches quotidiennes, créer des emplois de proximité pour retenir les autres. De travailleuses familiales, elles se transformeront vers 1965 en aides ménagères, marquant ainsi le début de la diversification des services vers l’aide aux personnes âgées à leur domicile, puis en auxiliaires de vie en 1976 avec leur reconnaissance en 1988 puis par la création d’un diplôme professionnel en 2002. Leur mission est d’assurer le confort physique et moral des personnes en les accompagnant dans les actes essentiels de la vie quotidienne. Ces services sont gérés par des associations loi 1901 sans but lucratif. Dès les années 1990, des associations indépendantes de l’ADMR se sont multipliées avec l’émergence de besoins grandissants liés au vieillissement de la population.
La loi pour l’APA (10) sera mise en place en 2001. Le « plan Borloo » encouragera en 2005 l’ouverture de nouveaux services dans le but de structurer l’offre des services à la personne (bricolage, jardinage, repassage, garde d’enfants et assistance à la dépendance). Cette offre sera même ouverte aux sociétés à but lucratif.
Dans le domaine précis des soins palliatifs, dès 1993, à la demande du Ministère de la Santé, le rapport du docteur Henri Delbecque fait le point sur les évolutions intervenues depuis la circulaire Laroque de 1986 et émet des propositions qui s'articulent autour de trois axes : développement des soins palliatifs à domicile, planification des centres de soins palliatifs, enseignement et information sur ces soins.
La loi de 1999 visant à garantir l’accès aux soins palliatifs a donné un sérieux coup de pouce au développement et à l’imagination créatrice de ceux qui ont bien voulu innover. La place était faite pour que soient mis en place les soins palliatifs partout où le malade se trouve.
En 2002, la circulaire dite « Kouchner » marquait le développement à domicile comme axe prioritaire, décliné en 4 actions : - développement du travail en équipe, - renforcement des modes d’organisation, - création de réseaux, - information et formation.
En 2004, les SROS 3 (11) donnent obligation de prévoir la démarche palliative non seulement dans les hôpitaux, mais aussi à domicile dans une organisation territoriale des soins.
►Du côté de la coordination des soins à domicile, il a fallu inventer. Déjà l’épidémie du SIDA avait montré les failles du système de santé français en matière de prise en charge de patients atteints de maladies graves ou complexes. Le souci majeur était que la maladie seule ne constituait pas la totalité de la problématique : la composante sociale, familiale, psychologique était également prégnante ; la question des situations critiques ou urgentes l’était aussi. Les premières organisations de professionnels de santé du domicile naissent. Elles permettent une coordination des soins et la prise en compte des problèmes sociaux. Parallèlement et peu à peu, des expériences voient le jour de-ci de-là, par la pression des usagers et à la demande des médecins généralistes et des infirmières pour améliorer l’accompagnement à domicile des malades en soins palliatifs : soutien à domicile d’équipes de soins palliatifs hospitalières telles que celle de l’EMSP de l’Hôpital Georges Clémenceau de Champcueil dans l’Essonne dès 1996 ou bien celle de l’USP de Notre Dame du Lac de Rueil Malmaison dans les Hauts de Seine en 2002. Ces équipes décident, en accord avec leur institution, de sortir des murs de l’hôpital pour visiter les patients à domicile, soutenir les professionnels de santé et les familles dans ces moments difficiles. Ainsi ont pu également se créer des centres de santé, associations ou services qui, avec des équipes salariées ou rémunérées à l’acte, ont répondu en partie à ce besoin.
Le cadre réglementaire et législatif suit : - Les ordonnances Juppé du 24 avril 1996 réforment l'hospitalisation publique et privée et créent les filières et les réseaux de soins, - la circulaire du 25 novembre 1999 est relative aux réseaux de soins préventifs, curatifs, palliatifs, ou sociaux, - la loi de finances de 1998 crée les réseaux de soins expérimentaux avec le FAQSV (12), - celle de 2001 concerne les réseaux de santé avec la DRDR (13) , - la loi du 4 mars 2002 (Art 89) définit les réseaux de santé avec les décrets des 25 octobre et 17 décembre 2002. Tous ces textes donnent vie à de nouvelles organisations : les Réseaux de Santé. « Les réseaux de santé ont pour objet de favoriser l’accès aux soins, la coordination, la continuité ou l’interdisciplinarité des prises en charge sanitaires, notamment de celles qui sont spécifiques à certaines populations, pathologies ou activités sanitaires. Ils assurent une prise en charge adaptée aux besoins de la personne tant sur le plan de l’éducation à la santé, de la prévention, du diagnostic, que des soins. Ils peuvent participer à des actions de santé publique. Ils procèdent à des actions d’évaluation afin de garantir la qualité de leurs services et de leurs prestations. Ils sont constitués entre professionnels de santé libéraux, les médecins du travail, des établissements de santé, des centres de santé, des institutions sociales ou médico-sociales et des organismes à vocation sanitaires et sociales, ainsi qu’avec des représentants des usagers. » Loi n°2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
En fait, une prise en charge uniquement ambulatoire laisse place à la liberté du patient pour gérer ses propres intervenants, coordonnant lui-même ses rendez-vous. Les professionnels de santé de ce secteur ont une culture libérale. A contrario, une prise en charge dans le secteur institutionnel (HAD, hôpital, maison de retraite) ne laisse pas la même liberté au malade. Il y est soumis à une organisation hiérarchisée qui possède certains avantages, mais peut aussi le priver de certains choix (« son » infirmière, « ses » meilleurs horaires de passage, « son » lit…). Les professionnels de ce secteur sont salariés. On peut penser qu’un « alliage » entre le secteur ambulatoire plutôt libéral et le secteur institutionnel, si tant est qu’il soit réalisé en bonne intelligence et avec le souci du meilleur service rendu au malade, ne peut avoir que des bénéfices sur l’organisation de la trajectoire de celui-ci tout au long de ses épreuves médicales. En effet, certains patients ne relèvent pas d’une hospitalisation conventionnelle, mais sont néanmoins trop « lourds » pour le secteur libéral seul.
Les premiers réseaux de santé de soins palliatifs, tels qu’on les connaît à ce jour, naissent en 1999-2000. Les professionnels libéraux qui les créent voient le malade comme une personne qui traverse une longue épreuve, dont il peut sortir ou pas, le menant le cas échéant inéluctablement vers la mort. Ces professionnels ont d’expérience une conscience aiguisée de la difficulté des accompagnements de ces malades à la maison, de la difficulté d’obtenir une place, si nécessaire, à l’hôpital, de la difficulté des moments d’urgence, de la difficulté pour les familles d’être compétentes et présentes. Ces professionnels de santé, et particulièrement le médecin généraliste, ont une vision ample du parcours de soins du patient d’autant qu’ils en restent le pivot, la pierre angulaire. C’est à ce parcours qu’ils veulent répondre au mieux.
L’avantage d’une meilleure organisation des soins palliatifs à domicile va dès lors être évident. La coordination des soins est réalisée par l’équipe de coordination du réseau de santé et non par le médecin ou par la famille qui n’ont guère le temps. Une fluidité des transferts du malade aux urgences ou à l’hôpital, une expertise à des moments cruciaux de la prise en charge, une formation des professionnels de santé du domicile à la médecine palliative sont du domaine de cette coordination. Notons que la mission des réseaux de santé est aussi de diffuser la démarche palliative auprès du grand public, même si les associations de bénévoles d’accompagnement s’en chargent depuis longtemps.
Ainsi, le malade peut-il recevoir des soins de qualité égale à celle de l’hôpital, tout en restant dans son environnement habituel, source de confort, de bien-être moral propice à l’amélioration de son état de santé. Il faudra néanmoins mettre en œuvre, à domicile, un soutien moral, matériel, financier et éventuellement humain (garde-malade), ainsi qu’une éducation de la famille, afin de ne pas l’épuiser, surtout lorsque les pathologies sont longues et les épisodes aigus itératifs.
L’accompagnement bénévole s’est ouvert au domicile dès que les réseaux de santé sont apparus. Cet apport est crucial pour que les accompagnements durent dans le temps et soient de meilleure qualité. Les réseaux de santé en sont tous témoins.
La difficulté reste la collaboration entre les hospitaliers et les libéraux, même si elle a tendance à s’estomper au fil des années. Les réseaux de santé contribuent à faire entendre la mixité des cultures (hospitalière et libérale) des uns et des autres et à faciliter la création de ponts entre eux. Les lieux de régulation des décisions médicales et éthiques entre hospitaliers et professionnels du domicile sont de bons espaces de partage. L’enjeu est aussi celui de la place qui sera réservée à la formation des professionnels sanitaires et sociaux du domicile par les réseaux eux-mêmes : le problème est essentiellement le financement de ces formations. Il est acquis pour le moment mais en constante diminution, en regard de l’augmentation des besoins.
Le choix du domicile
►Les modalités du soin à domicile :
La perspective d’une fin de vie à domicile nécessite une équipe solidaire et complète aux côtés du patient et de son entourage. Cette équipe ne se résume pas au médecin généraliste et à l’infirmière libérale : de nombreux autres professionnels peuvent être amenés à intervenir : kinésithérapeutes, psychologues, pharmaciens, diététiciens, auxiliaires de vie, bénévoles d’accompagnement, assistantes sociales, aides soignantes… Une organisation optimale au domicile suppose les outils et concepts majeurs :
- La définition d’un plan de soins et d’un plan d’aide réévalué régulièrement. - Une approche pluridisciplinaire des problématiques, qu’elles soient organisationnelles ou éthiques : - maintien du malade au domicile, ou mise en maison de retraite, ou transfert à l’hôpital, - apport de nouveaux matériels, - prévision d’une aide humaine supplémentaire, - décision d’arrêt ou de limitation des soins, - mise en place d’une sédation. - Une écoute des besoins et des désirs du patient. - Une prise en charge relationnelle, de l’anxiété, de la dépression. - Une anticipation des crises, diminuant ainsi le recours aux urgences hospitalières ou à des hospitalisations inutiles. - Des prescriptions anticipées pour les cas d’urgence, des protocoles de soins élaborés avec les professionnels de santé libéraux, en accord avec les recommandations de l’HAS et des sociétés savantes. - Un aménagement du domicile, dans le respect de l’intimité d’un chez soi. - Un soutien réel de la famille qui, accompagnante, doit aussi être accompagnée. - Un travail pensé sur la préservation de l’espace familial comme espace privé, malgré l’intervention rendue nécessaire de nombreux et divers intervenants. - Une vigilance au risque d’épuisement physique et psychologique des proches. - Une permanence téléphonique, 24 h/24, pour les soignants, mais aussi pour les familles et les patients, afin de permettre le suivi et le contrôle des symptômes. Ces éléments auront un impact certain sur le confort du malade et la sécurité de ses soins, sur le lieu du décès (qui sera préférablement celui choisi par le malade et sa famille), sur la satisfaction des usagers (patients et familles) et aussi des soignants pour qu’ils retirent de leur travail, ainsi facilité, des résultats plus gratifiants. - Si le malade est hospitalisé : un projet de retour à domicile doit être organisé. Pour ce faire, une évaluation bien précise des besoins et des souhaits doit être réalisée, avec une équipe rompue à cet exercice et connaissant particulièrement bien les offres du territoire en matière de soins et d’aides. - Si le malade est déjà au domicile : un renforcement de la prise en charge est alors nécessaire, dans le domaine des soins et dans celui du soutien des proches. La même évaluation sera alors utile.
►Les enjeux du domicile Il est maintenant bien admis que les Français souhaitent majoritairement finir leurs jours chez eux, ou du moins y passer le plus de temps possible durant leur maladie. Toutefois, depuis 50 ans, les migrations géographiques des familles, la généralisation du travail des femmes, l’exigüité des logements et l’âge déjà avancé des proches accompagnants sont des facteurs complexes de mutation sociale délicats à contourner. Il est à noter également que les soins palliatifs ne se résument pas à la fin de vie et que dans les cas de maladies graves la durée de vie est de plus en plus longue grâce à des thérapeutiques palliatives qui donnent un sursis aux patients. Le domicile reste néanmoins le lieu-même où la vie s’exprime au plus près de la familiarité, de l’intimité et des liens affectifs précieux. C’est le lieu où peut « se tricoter » encore et toujours l’histoire de la personne malade. Il est le lieu idéal de l’exercice des soins dits continus, par définition et par nécessité dorénavant. Il est aussi le lieu privilégié de la continuité des soins. Mais sans l’accord clair de la famille et des proches rien ne pourra se faire. Sans une place réelle et forte donnée au médecin généraliste, rien non plus ne pourra se faire.
Le soin palliatif fait partie du soin : il faudra donc former, dès le début des études médicales et paramédicales, les soignants et les professionnels du social à cette pratique, à cette manière de penser le soin et la personne malade, dans une approche nécessairement globale et pluridisciplinaire. Particulièrement au domicile, cette approche oblige à inventer des lieux et des temps de rencontre et de partage de questionnements. Les soins et l’accompagnement pratiqués au domicile ont aussi pour objectif d’aider au travail de deuil des proches : il s’agit d’une réelle prévention des deuils pathologiques (consommation de psychotropes, arrêts de travail, dépressions, tentatives de suicides, maladies graves dans les suites d’un décès) qu’il serait intéressant d’évaluer sur l’impact économique, en termes de santé publique. Parallèlement, l’avenir nous montrera si l’homme se décide à nouveau à accepter que la mort fasse partie de la condition humaine. Malraux disait que le « 21ème siècle sera spirituel ou ne sera pas »… Les soins palliatifs trouveront alors normalement leur place dès lors que, comme dans l’anecdote bretonne, l’homme, et la société dans laquelle il est, intègrera la question de la mort dans celle de la vie. Ce questionnement ne manquera pas alors de modifier l’avenir des lois : quelle valeur accordera-t-on à la qualité et la préservation de la vie des plus vulnérables, des personnes très âgées dont on aura augmenté l’espérance de vie grâce aux progrès de la médecine ? Nous préoccuperons-nous du sens réel de la vie face à cette finitude, plutôt que de contingences sociales ou matérielles de réussite et de performance ? Enfin, on voit combien l’organisation traditionnelle des soins fait place aujourd’hui à de nouvelles pratiques centrées autour du domicile : les notions de coordination entre la ville et l’hôpital, entre le sanitaire et le médico-social, entre la prévention et les soins sont enfin acquises. Le développement majeur des réseaux de santé a fait la preuve de cette nécessité : 860 réseaux de santé étaient financés en 2007, contre 182 en 2003, avec les thématiques majoritaires en soins palliatifs, puis en cancérologie, puis en gérontologie. En 2009, on dénombre plus de 150 réseaux de soins palliatifs. Ils sont à présent incontournables, même s’ils doivent encore travailler la finesse de leurs contours, veillant à être des acteurs centrés autour de la question de la proximité et du maintien à domicile, autour de l’apport d’expertise médicale, autour du souhait du patient, plus qu’autour d’une pathologie. Cette nouvelle organisation en réseaux de santé demandera que soient développées et favorisées les formations aux nouveaux métiers liés au domicile comme nouveau lieu de vie et de soins des malades, dans les domaines de la coordination, de l’évaluation et de la communication. Ces nouveaux métiers devront être reconnus et pouvoir donner lieu à des mises en perspective de carrières. Le fil conducteur de l’organisation, en ce qui concerne les soins palliatifs, est avant tout le désir du malade en matière de lieu de vie et de lieu de soins : la place de la citoyenneté est dans l’esprit de la Loi du 4 mars 2002, tant du côté du respect de la parole du patient que dans la solidarité nécessaire à créer autour de lui.
Sur ce point, les bénévoles d’accompagnement ont prouvé la plus value de leur présence humaine qui va rassurer, compatir, soutenir la personne malade et la famille dans les épreuves qu’ils traversent, la plus-value aussi pour eux-mêmes, et donc pour la société, dans cette réciprocité de la relation accompagnant-accompagné. Si les soins palliatifs sont porteurs en eux-mêmes de changements dans les pratiques, les bénévoles d’accompagnement sont des acteurs qui comptent dans les nouveaux modes de soins tout particulièrement au domicile : très vite ils ont été amenés à réfléchir sur les frontières, parfois floues, entre le palliatif et le curatif. Ils sont maintenant sollicités dans les accompagnements en maisons de retraite et au domicile : l’isolement des familles et le manque de lien social les y invitent. Ils deviennent malgré eux des acteurs pouvant aider à la décision dans le parcours de soins du patient, lorsqu’elle doit être prise et qu’ils peuvent être amenés à donner leur avis. Ils sont encore sollicités au moment du deuil. Ces sollicitations peuvent être malaisées, mais le bénévole d’accompagnement saura rester vigilant quant à sa liberté d’être interpelé et s’adapter aux évolutions de la société et du système de soins sans cesse en mouvement.
En conclusion, l’accompagnement à domicile, oui ! Mais…
- avec des objectifs choisis et acceptés par le patient et ses proches, - avec des soignants motivés, formés à leur responsabilité fortement engagée et à la nécessité de discrétion et d’humilité, - avec une vigilance aiguisée à l’évaluation des possibilités des familles, - et un véritable engagement de l’état. Gageons que l’accompagnement des malades à domicile sera une opportunité pour démédicaliser la maladie grave et la fin de vie, pour humaniser la relation de soin, pour inviter la société à une réflexion approfondie sur la place qu’elle doit accorder aux personnes les plus vulnérables.
Références
1. Le Réseau LE PALLIUM vient de publier un ouvrage : « Vous avez dit soins palliatifs ? Une question de vie », qui tente de répondre aux questions essentielles sur la maladie grave et la fin de vie que se posent le grand public, les malades et leur entourage. (124 pages – 15 €) Commande à faire au Réseau Le Pallium – Tél. 01.30.13.06.33 – Mail : reseau.lepallium@lepallium.fr.2. Livret « Projet institutionnel » - 1992 – Association des Dames du Calvaire. 3. Jusqu' A La Mort Accompagner La Vie. 4. Service de Soins Infirmiers A Domicile. 4. Hospitalisation A Domicile. 6. Fonds National d’Action Sanitaire et Sociale issu de l’Assurance maladie. 7. Rapport du Comité de Suivi du Programme de développement des Soins palliatifs de 2004. 8. A. Sentilhes-Monkam, L'hospitalisation à domicile, une autre manière de soigner, Coll. Ethique Médicale, Santé Médecine. Ed. L’Harmattan. 9. Aide à Domicile en Milieu Rural – Site Internet de l’ADMR. 10. Allocation Personnalisée d’Autonomie – Loi du 20 juillet 2001. 11. Schéma Régional d’Organisation Sanitaire de 3e génération 12. Fonds d’Aide à la Qualité des Soins de Ville. 13. Dotation Régionale de Développement des Réseaux. 14. Haute Autorité de Santé.
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