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- L'accompagnement de personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer

L’accompagnement de personnes atteintes  
de la maladie d’Alzheimer

 

 par une équipe de bénévoles de l’asp fondatrice  au sein d’un EHPAD

EHPAD Cousin de Méricourt – Cachan (92)[1]

Ce document retrace l’expérience d’une équipe de bénévoles d’accompagnement en soins palliatifs[2], œuvrant en complémentarité avec les soignants d’un EHPAD, dans un projet de démarche palliative pour soutenir les personnes âgées, et en particulier celles atteintes de la maladie d’Alzheimer, qui se trouvent en grande difficulté et en fin de vie.

L’asp fondatrice a pour mission de promouvoir les soins palliatifs et de sélectionner, former et encadrer des bénévoles d’accompagnement, en accord avec la loi N 99-477 du 9 juin 1999. Ces bénévoles sont mis à la disposition des établissements de soins qui en font la demande, dans un projet de mise en place d’une démarche palliative[3].

C’est  pour répondre à la demande des établissements gériatriques, en particulier les EHPAD, que l’asp fondatrice a développé ses missions dans le domaine gérontologique. Elle a pu, de ce fait, prendre pleinement conscience des immenses besoins de ces institutions qui, avec le vieillissement de la population et son corollaire de handicaps lourds, se trouvent de plus en plus confrontées à la grande détresse des personnes âgées, à la difficulté de leur prise en charge et à la gestion de leur fin de vie.

1.     Les modalités de l’implantation des bénévoles de l’asp fondatrice  dans la structure. Une convention[4] entre organismes. Le respect des critères de prise en charge. Un bilan annuel d’évaluation.

Notre équipe de bénévoles est implantée depuis fin 1999 à la Résidence Cousin de Méricourt, EHPAD géré par le Centre d’Action Sociale de la Ville de Paris. Une convention a été signée avec le CCAS de la Ville de Paris et avec l’établissement. Cette convention, reconduite chaque année, fixe les règles de la présence des bénévoles dans la structure, ainsi que les responsabilités et les devoirs des deux parties. Les critères de prise en charge des résidents par les bénévoles ont été fixés d’entrée, en accord avec la Charte des soins palliatifs et en fonction des besoins et des difficultés rencontrés.

Un bilan est effectué chaque année, réunissant la direction de l’établissement, le médecin coordonnateur, les psychologues, le cadre infirmier (responsable de la prise en charge « fin de vie » et des relations avec les bénévoles), ainsi que les responsables de l’asp fondatrice : médecin référent, coordinatrice centrale et coordinatrice de l’équipe de bénévoles de Cousin de Méricourt. Ils évaluent ensemble l’action réalisée et discutent des points qui pourraient être améliorés.

Notre association, le Centre Communal d’Action Sociale (CCAS) et Cousin de Méricourt avaient d’ailleurs bien anticipé la reconnaissance de ces besoins.

Ceux-ci ont été soulignés à deux reprises par la Cour des Comptes, d’abord en 2006 dans un rapport sur les personnes âgées recommandant le développement d’une prise en charge palliative au sein des EHPAD, ensuite en 2007, dans un rapport sur les soins palliatifs, recommandant de les extraire du Plan Cancer dont ils dépendaient afin d’élargir leur champ d’action. 

2.     Un bénévolat encadré[5] et « professionnel » inscrit dans une relation de confiance avec l’EHPAD.

Cela fait donc bientôt neuf ans que les bénévoles sont présents à Cousin de Méricourt, aux côtés des personnes âgées, des familles et des soignants. Depuis 2003 - date à laquelle l’établissement a décidé de mettre progressivement en place cinq Unités de Vie Protégées (UVP) pour les patients atteints d’une maladie d’Alzheimer- nous avons été amenés à cheminer avec de nombreuses personnes atteintes de cette pathologie et donc à nous interroger sur les façons de les accompagner.

L’établissement savait d’entrée que les accompagnants bénévoles étaient formés et encadrés par l’association, tenus au non jugement et à la confidentialité et soutenus par un groupe de parole animé par un psychologue de l’association. Mais c’est au fil du temps qu’un climat de confiance et de respect réciproque s’est installé entre bénévoles et soignants et nous travaillons maintenant en réelle complémentarité. Nous sommes partie prenante des différents projets d’établissements, celui sur la fin de vie  (« guide des bonnes pratiques pour la prise en charge des résidents en fin de vie ») et celui sur la bientraitance (« guide ensemble contre la maltraitance »).

Les personnes âgées que nous accompagnons nous sont confiées par les soignants. Nous leur rendons systématiquement compte de nos accompagnements dans des cahiers de transmission (un par bâtiment) où nous notons tous les éléments susceptibles d’aider les soignants dans leur prise en charge des résidents. Nous communiquons, bien sûr aussi, oralement et directement, surtout en cas de situations à caractère particulier ou urgent.

Les critères de prise en charge des résidents sont les suivants :

- entrée traumatisante dans l’établissement,

- crises psychologiques (pertes physiques, perte d’un être cher, angoisse, dépression,   syndrome de glissement),

- aggravation de l’état de santé mettant en jeu le pronostic vital,

- démence de type Alzheimer,

- fin de vie.

Notre équipe compte 9 bénévoles. Nous suivons à ce jour 52 personnes âgées (c’est dans notre moyenne) avec une rotation d’un tiers par an par suite des décès. Sur ces 52 personnes, 29 présentent des pathologies de type Alzheimer à des stades divers.

Les UVP regroupent 85 personnes atteintes de cette pathologie. Nous sommes de plus en plus amenés à y intervenir, car nous sommes un apport complémentaire dans la prise en charge globale de ces malades qui nécessitent beaucoup de temps, de présence et d’écoute.

3.     Une démarche appuyée sur une formation spécifique mais aussi construite sur des expériences de vie.

La formation des bénévoles de l’asp fondatrice est essentiellement basée sur l’écoute et la présence. Mais la spécificité de la prise en charge des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, a motivé des formations complémentaires sur le grand âge et la dépendance avec des formations sur la communication non verbale, le toucher relationnel et bien sûr, sur cette maladie elle-même.

Ces formations sont indispensables pour répondre aux difficultés rencontrées par les bénévoles confrontés à cette maladie.

Mais ce sont, bien sûr, les personnes âgées elles-mêmes qui sont notre meilleure école ; c’est auprès d’elles, à leur écoute que nous apprenons.

Ce sont elles qui, sans cesse, nous questionnent, nous interpellent, nous font nous remettre en question. Il suffit parfois de les observer entre elles pour apprendre ce qu’est l’écoute. Première leçon, racontée par une bénévole : « Monsieur M. très agité, angoissé, tourne au salon, essaye toutes les chaises, se relève, se rassoit tout en s’approchant peu à peu d’une dame assise tranquillement à la table. Finalement, il s’assoit avec fébrilité auprès d’elle et lui débite un discours totalement incompréhensible. Calmement, elle l’écoute, le regarde, puis elle pose doucement sa main sur la sienne et lui dit : « C’est bien, vous avez bien fait. » Aussitôt Monsieur M. se détend, sourit et reste calme auprès d’elle.

Cependant ce qui a l’air si simple et si naturel pour une dame atteinte d’une maladie d’Alzheimer ne l’est pas autant pour nous, simples bénévoles ! Notre présence auprès de ces personnes démentes suscite beaucoup d’interrogations et nous met souvent en échec.

Une bénévole témoigne : « Je fais la connaissance de Madame H. qui nous est confiée à l’UVP. Mais je ne réussis même pas à capter son regard. La soignante me dit qu’en ce moment, elle est très perdue. Je regrette de n’avoir pas mieux réussi, d’autant qu’elle ressent beaucoup d’angoisse… une autre fois peut-être ? »

Une autre bénévole nous dit : « J’entends Madame B. hurler dans sa chambre. Je me présente à elle. Elle se remet à hurler de plus belle. J’attends un peu, puis lui dis calmement que, si elle le désire, je serais contente de rester un peu. Les hurlements redoublent. Je n’arrive pas à sentir si ma présence est bienvenue ; alors je lui dis « au revoir, je reviendrai une autre fois » et je pars… avec le sentiment de prendre un peu la fuite. »

Comment accompagner au mieux les personnes démentes ? Comment les écouter ? Entrer en contact ? Qu’est-ce que cela nécessite [6] ?

Cela demande tout d’abord, un lâcher prise de la part du bénévole. Il faut accepter d’abandonner, pour un temps, le domaine rassurant du sens, du normal, de la logique, des règles. Accepter de nous défaire de nos certitudes, de nos repères, pour être ouverts à l’inconnu, au toujours différent, à l’imprévisible. Il faut être et rester en présence du non maîtrisable et du non maîtrisé. Etre confronté à l’autre, d’autant plus autre que le sens commun semble lui faire défaut. Cela demande de la patience, de l’ouverture, une finesse d’écoute, un ajustement basé sur l’empathie et le ressenti.

4.     Qu’apportons-nous aux personnes âgées, aux familles, aux soignants ? Sommes-nous un  « luxe » superflu ou bien au contraire, un facteur supplémentaire d’équilibre et de progrès dans la bientraitance[7] ?

Que faisons-nous ? Que pouvons-nous apporter aux personnes atteintes d’une maladie d’Alzheimer ? Tout simplement, nous sommes disponibles et, par la présence et l’écoute, nous sommes un facteur d’équilibre, un soutien, un interlocuteur.

-         Notre présence permet aux personnes âgées d’affirmer leur qualité de personnes. Une bénévole est auprès de Madame C. lorsque la fille de celle-ci arrive. Madame C. lui dit : « c’est une des dames qui viennent souvent et qui sont contentes, elles, de venir me voir. » Nous avons un autre regard, plus libre. Nous ne voyons pas une personne malade (nous ne sommes pas dans un souci de soin), nous ne voyons pas un parent diminué, mais tout simplement des êtres dans toute leur singularité. Cela leur permet de retrouver, malgré la maladie, le sentiment de leur valeur.

-         Nous sommes également un interlocuteur extérieur, neutre, que l’on peut prendre à témoin pour exprimer, par exemple, sa colère, sa révolte comme Madame M. qui crie : « ils m’ont enfermée, ils m’empêchent de sortir, ils veulent me faire passer pour une folle ! » Nous pouvons laisser Madame M. exprimer sa colère jusqu’au bout, sans rien dire, car il n’y a pas de réponse à un tel désarroi. Simplement nous l’entendons, nous le recevons. Il n’y a rien de pire que de ne pas être entendu.

-         Nous leur offrons aussi la possibilité de s’exprimer, en maintenant le plus possible le discours.

Madame B. est le plus souvent immobile dans son fauteuil, calme et grave. Elle dit à une bénévole : « quand vous venez me voir, ça m’oblige à sortir de mon nid, ça fait du bien de pouvoir voleter encore un peu. » Entre bénévoles, nous les appelons parfois « les dames philosophes et poètes ».

5.     Un accompagnement qui s’ajuste aux difficultés rencontrées et qui s’affine pour un maintien de la relation.

Malgré l’avancée de la maladie et les pertes de vocabulaire, il est toujours possible de maintenir un certain dialogue, en utilisant les réflexes, les mécanismes du langage : « comment allez-vous ?…comme les vieux…les vieilles douleurs. » On parle, comme on dit, « de la pluie et du beau temps » en utilisant les stéréotypes du langage : « il n’y a plus de saisons… la vie est dure... il fait pas chaud aujourd’hui… » Les proverbes aussi peuvent facilement se partager et permettre d’échanger.

A l’inverse, nous écoutons souvent des flots de paroles et de mots incompréhensibles, en nous basant toujours sur le ressenti, sur l’émotion que nous percevons, le rythme des phrases, le timbre de la voix, les expressions gestuelles, les regards, les mimiques. Nous essayons de nous mettre au diapason car le plus important est de les maintenir en lien, pour éviter le repli sur soi, la perte identitaire.

Lorsque le langage a pratiquement disparu, nous continuons à les inciter à être présents :

-         par la posture : Nous nous mettons à leur niveau, en essayant de capter leur regard où ils se donnent parfois entièrement. Le choix du positionnement pour une présence attentive est primordial.

-         par la douceur de l’approche et des gestes : « Monsieur R. est méfiant et craintif. Il parle peu, se sent facilement menacé. Sa place favorite est à la droite du canapé, au salon de l’UVP. Nous lui demandons, très gentiment, l’autorisation de nous asseoir près de lui. Il faut maintenir une certaine distance entre nous tout en essayant d’être le plus calme et serein possible. Une fois que l’on se sent « bien posé » près de lui, en harmonie, on le voit se rapprocher, nous prendre doucement la main. Nous restons là, tranquilles, ensemble un moment,  main dans la main, à regarder ce qui se passe… ». Les bénévoles notent souvent dans le cahier « bon moment de calme auprès de Monsieur R. »

6.     Un accompagnement qui leur permet d’exprimer leurs difficultés, leurs préoccupations, leurs peurs[8].

Monsieur M. « sent bien  qu’il perd la boule ;  il ne retrouve plus sa chambre, et par moment, il ne reconnaît absolument plus rien. »

Madame F. nous dit :« mon esprit ne va plus, c’est comme un grand couloir, plein de courants d’air, avec plein de portes, mais toutes ces portes ne mènent nulle part.»

Madame B. semble très blessée, elle veut partir, quitter cette maison car « on l’a réprimandée, alors qu’elle fait tout ce qu’elle peut, la nuit, pour aider ; elle n’a même pas le temps de dormir, et, pour tout remerciement, on lui fait des remontrances. »

7.     Une écoute et une présence qui permettent de « désamorcer », de calmer, de gérer l’angoisse si symptomatique de cette maladie.

-         Soit en changeant de registre, comme pour Madame J. qui tient un double discours, comme si deux personnalités se juxtaposaient en elle. L’une est rieuse et gaie. Elle aime les blagues (nous faire des chatouilles, la petite bête qui monte.) aime les grandes embrassades. L’autre personnalité, fractionne, parasite la relation. Elle s’exprime à voix basse, intériorisée : « Papa, où es-tu ? Pourquoi m’as-tu abandonnée ? Viens me chercher, demande à la mairie où je suis… » Cette voix comme brisée, éteinte, témoigne d’une angoisse profonde.

Il faut savoir écouter Madame J., la laisser s’exprimer jusqu’à la limite, puis d’une caresse, d’un mot,  la ramener vers nous, vers sa personnalité rieuse et avenante. Peut-être, un jour, à force de l’exprimer, pourra-t-elle faire ce deuil qui la tourmente ?

-         Soit par une présence rassurante et entourante, comme une manière de faire rempart à cette angoisse qui monte.

Une bénévole note : « Madame D. fait à 17 heures sa crise d’angoisse habituelle. Elle veut partir. Son mari l‘attend. Elle n’a pas fait les courses pour le repas et veut appeler un taxi. Elle en pleure de désarroi. Je la prends dans mes bras, la serre contre moi, longtemps, et je réussis à la calmer en la faisant s’asseoir et parler de sa jeunesse au Maroc. »

Faire diversion, ramener à des souvenirs heureux et positifs, permet souvent de franchir les caps difficiles et trop douloureux.

Pourtant, il faut aussi, dans un souci de vérité et par respect pour la personne, essayer de la ramener autant que possible et très doucement vers la réalité : « Vous êtes chez vous ici, dans la maison de retraite, vous y avez une belle chambre, avec vos affaires personnelles car maintenant vous ne pouvez plus vivre seule, vous avez besoin que l’on s’occupe de vous . »

Il faut parfois aussi essayer de dire la réalité, même si elle est difficile. Madame B. cherche son mari, décédé depuis longtemps. Elle cherche partout à l’étage et s’angoisse beaucoup de ne pas le trouver. La bénévole lui dit doucement : « Madame B., je crois bien que votre mari n’est plus avec nous. » Madame B. s’immobilise et dit après un long regard : « mais j’ai quand même besoin de lui, car c’est mon amour. » Elle a pu ensuite évoquer, un moment, leur vie passée ensemble.

8.     L’accompagnement des bénévoles en UVP aide à vivre dans la dignité.

Il est important d’apprendre à écouter les personnes âgées dans le respect de ce qu’elles disent, car leurs propos, qui nous semblent incohérents ou délirants, sont le plus souvent une quête de sens.

La personne atteinte de la maladie d’Alzheimer perd peu à peu les moyens de communication habituels et les outils nécessaires à la compréhension. Elle est plongée dans un monde qu’elle ne reconnaît pas, qu’elle ne maîtrise pas et qui est générateur d’une profonde angoisse. Mais ce qu’elle ne perd pas, c’est son intelligence et son besoin de comprendre. Elle tente alors de redonner du sens à ce qu’elle vit. Avec les quelques éléments disparates qui lui restent, elle essaie de retrouver une logique, de reconstruire une histoire. C’est le cas de Madame X.

Madame X. ne comprend pas du tout ce qu’elle fait là, ni surtout qui l’a amenée dans cette maison qui n’est pas la sienne. Alors, après avoir imaginé de nombreux scénarios, elle en est arrivée à la conclusion, évidente pour elle, qu’elle a été kidnappée. Ce qu’elle nous dit est à écouter avec sérieux et sans jugement. Ne pas écouter avec respect ce que ces personnes veulent nous dire, c’est les nier en tant qu’êtres humains. Elles le ressentent profondément et réagissent par de l’angoisse, de l’agressivité ou un repli sur elles-mêmes.

Lorsque la maladie est profondément installée, nous continuons à essayer de rendre possible l’expression d’une peur, d’une angoisse, même si elles semblent sans objet.

« Madame C. pleure beaucoup, souvent, et dès que nous sommes présents à côté d’elle. On sent un vrai, un authentique chagrin qu’elle n’arrive plus à verbaliser.

Une bénévole lui dit : « je ressens bien que vous avez du chagrin. Voulez-vous essayer de m’en parler ? »  Long regard de Madame C. La bénévole reprend : « Est-ce que ce sont les mots qui vous manquent ? » Madame C. fait signe que non. Alors, la bénévole lui demande : « Est-ce un chagrin qui est là, mais que vous ne comprenez plus ? » Madame C. lui prend la main, la serre très fort en disant : « oui, c’est ça, je ne sais plus. » « Alors nous allons rester un moment ensemble  jusqu’à ce que ce chagrin passe un peu… » Madame C. se détend, cesse de pleurer et s’endort au bout d’un moment.

Monsieur M. dit : « je crois que j’avais deux fils. Peut-être trois… Mais je sais que j’en ai perdu un, il est mort. Je ne sais plus de quoi il est mort, j’ai même oublié son nom… mais le chagrin que j’ai eu, lui, je ne l’ai pas oublié, il est toujours là. »

Nous déambulons beaucoup aussi, inlassablement, comme ces personnes, avec elles, à leur rythme, à leur pas. Parfois rapide, comme dans l’urgence sans jamais s’asseoir, parfois doucement avec des pauses.

Monsieur Z., âgé de 90 ans, marche depuis une heure en ouvrant toutes les portes des chambres sur son passage, créant énervement et agitation dans l’étage. « Mais que faîtes-vous Monsieur Z ? » tente au bout d’un moment la bénévole. Il répond avec simplicité : « Je cherche ma mère… ».

9.     Un accompagnement est toujours basé sur l’échange et sur l’enrichissement mutuel.

Nous pouvons aussi créer du lien entre les personnes malades, susciter des discussions, au salon, à l’heure privilégiée du goûter. Les échanges sont le plus souvent riches d’enseignements et émouvants. Telle cette conversation sur « le grand homme » le Général de Gaulle. Une dame parle du « quarteron de généraux en retraite », une autre crie « Vive le Québec libre ! » et la touche finale est pour Madame J. s’exclamant, debout, les bras en croix : « France, ta mémoire fout le camp ! ».

C’était drôle et très émouvant à la fois. Madame V. assise à une table répète inlassablement : « Maman, où es-tu, viens, Maman viens… » Madame D. l’écoute, puis dit : « moi j’ai perdu ma maman quand j’avais 7 ans, je ne l’ai jamais oubliée. » Madame L. reprend : « la mienne, elle ne vient jamais me voir, pourtant tous les jours, je l’attends.» Madame C. dit : « ma mère ne m’aimait pas, j’aimais mon père. Où est-il maintenant ? » Et Madame B. de conclure : « finalement, les personnes que l’on n’oublie jamais sont celles qui nous ont manqué… » « C’est vrai », disent toutes ces dames.

A leurs côtés, le bénévole apprend. A leur contact, le bénévole grandit en humanité et en sagesse.

Madame M. arpente sans fin, le long couloir en boucle de l’UVP. Elle demande à la bénévole : «Est-ce que vous voulez faire un tour de cerveau avec moi ? » La bénévole traduit : « Oui, je veux bien faire un tour de couloir ». En déambulant dans ce couloir aux côtés de Madame M., dans la même position qu’elle, les bras croisés dans le dos, en silence, elle réfléchit et s’aperçoit qu’elle est effectivement en train de faire, en silence, un tour de cerveau. C’était déjà l’attitude de Socrate et des péripatéticiens !

Les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer nous obligent à tout remettre en question. Elles s’interrogent sur tout. Elles ont une extrême sensibilité aux choses et aux gens. Elles nous font entrer dans leur univers, dans leur monde magique : « marcher uniquement sur les carreaux noirs du sol, pas sur les blancs ! » « compter les oiseaux dans les arbres, les petits, les gros… ». Elles nous obligent à être vraies, à développer nous aussi, nos intuitions et à communiquer autrement : « Madame M. est très avancée dans la maladie. Elle, qui adorait chanter, a perdu la faculté de parler. Nous chantons à sa place en lui tenant la main. Elle semble chanter par le regard et son pied bat timidement la mesure. Parfois elle prononce le dernier mot du refrain. »

10.                        Un accompagnement dans la durée, au rythme de l’avancée de la maladie, jusqu’à la fin.

Nous avons suivi Madame C. pendant 5 ans. Nous avons accompagné sa lente progression dans la maladie, ses pertes successives : la marche, le langage, les souvenirs effacés. C’était  une dame très douce, réservée, souvent en proie à un profond chagrin avec des pleurs et des appels à son « papa ». On la sentait s’éloigner de plus en plus, s’amenuiser. Et puis, un jour, elle a perdu l’appétit et peu à peu s’est mise à refuser toute nourriture.

Une bénévole note le 06/06 : « Moment très émouvant avec Madame C. Elle est couchée, crispée, angoissée. Une soignante arrive pour essayer de la faire goûter. Elle me demande de rester avec elle, car peut-être, avec moi, elle acceptera mieux. Nous lui faisons manger un yaourt, en lui tenant la main. On sent qu’elle mange pour nous faire plaisir. Nous avons déployé toutes deux des trésors de tendresse. »

Le 11/06, une bénévole note un léger mieux : « elle est au fauteuil, toujours angoissée, mais par moment, son visage s’éclaire ; grande demande de caresses. »

Le 17/06 : « je reste sans parler, un long moment près d’elle ; couchée, elle me sourit, me prend la main, puis s’endort. »

 Le 19/06 : « long accompagnement. Madame C. semble souffrir, ne trouve pas la bonne position ; contact à travers nos mains. »

 Le 25/06 : « Madame C. est couchée sur son lit, avec des coussins pour soulager ses points d’appui, mais elle semble beaucoup souffrir (grimaces, geignements). Je vais chercher l’aide-soignante (adorable) qui la change doucement de position. Quand j’en parle à l’infirmier, il me dit qu’ils vont la mettre sous morphine pour la soulager. Elle me semble en fin de vie. Long accompagnement. »

Le 26/06 : «Madame C. tremble beaucoup, elle repose sur un matelas anti-escarres. Elle comprend lorsqu’on lui parle, mais ne communique plus. Je reste longtemps auprès d’elle.»

 Le 26/06 au soir, «  je suis allée voir Madame C.  et suis restée un bon moment auprès d’elle. La morphine l’avait soulagée. La soignante est venue la changer de position, la préparer pour la nuit. Je suis sortie et suis allée voir plusieurs autres personnes.

Lorsque je suis revenue à 21 heures 30, la soignante m’a dit que Madame C.  était « partie ». Elle l’avait trouvée morte en prenant son service de nuit. Je suis restée un bon moment auprès d’elle, au nom de nous tous qui l’avions accompagnée depuis longtemps. L’heure de la toilette mortuaire m’a « chassée » de la chambre.  J’ai laissé la place à celles qui l’ont si bien soignée jusqu’au bout. »

 Le 27/06, dernière note d’une des bénévoles : « je suis allée à la morgue dire au revoir à Madame C. Son fils prévenu hier matin, n’était pas encore venu… »

11.                        Des bénévoles à la rencontre des familles.

Il y a également un vrai travail à faire auprès des familles.

Les personnes âgées entrent de plus en plus tard en institution. Quand elles ne peuvent plus  vivre seules, ces placements en dernier recours et parfois dans l’urgence, sont source d’une grande souffrance pour elles et pour leurs familles.

C’est surtout évident dans le cas de la maladie d’Alzheimer, lorsque les aidants familiaux (le conjoint le plus souvent) à force de dévouement et d’usure en arrivent au point de rupture où ils ne peuvent plus assumer la charge du malade.

Ces placements entraînent souvent un fort sentiment de culpabilité : « en franchissant la porte de l’établissement, pour m’en aller, j’ai à chaque fois le sentiment de l’abandonner » nous dit cette fille à propos de sa mère. A cette culpabilité s’ajoute un sentiment d’échec, de peine, d’abandon.

C’est terrible pour un fils de voir que son père ne le reconnaît plus. L’un d’eux nous dit « je ne suis plus le fils de personne puisque mon père ne me reconnaît plus, et d’ailleurs, moi non plus, je ne le reconnais plus, ce n’est plus le père que j’aimais ». Le risque, c’est que les familles fassent un deuil anticipé et qu’elles ne se déplacent plus.

Car s’il est vrai qu’il y a un premier deuil à faire, un deuil terrible qui est celui de ce parent connu et aimé qui a disparu avec sa mémoire, il n’en reste pas moins vrai qu’il est toujours vivant, toujours présent, même si c’est sur un autre mode.

Notre simple présence auprès de leur parent leur montre que celui-ci est toujours une personne, respectable, digne d’intérêt, attachante.

Nous pouvons, par notre expérience, aider les proches à créer de nouveaux liens, de nouveaux modes de relation, à rester en communication affective.

Une bénévole note : « je vois devant l’ascenseur Monsieur A. qui vient de rendre visite à sa mère. Il me semble très triste. Je lui demande des nouvelles de sa maman. Il me répond : « je ne sais pas pourquoi je continue à venir, ça ne sert à rien… J’habite loin,  j’ai deux heures de train pour arriver et j’ai l’impression qu’elle ne se rend même pas compte de ma présence ». Je lui dis que pourtant, nous, bénévoles, savons très exactement s’il a rendu visite à sa mère, rien qu’à son regard ;  et quand nous lui demandons : « votre fils est-il venu aujourd’hui ? » elle murmure parfois : « Jean-Claude ». Le fils s’est mis à pleurer. Il ne pensait pas qu’elle connaissait encore son prénom.

Ce qu’il venait de comprendre c’est qu’il n’y a pas que la mémoire cognitive, conceptuelle, il y a aussi la mémoire affective, la mémoire du cœur qui, elle, perdure.

Soutenir les familles dans ce maintien du lien, c’est alors tout simplement raconter à cette épouse cette merveilleuse phrase de son mari. Son mari qui nous a demandé : « Est-ce qu’elle va venir aujourd’hui, l’autre ? » Nous lui disons : « Quelle autre ? » « Mais vous savez bien, cette personne, cette femme-là… je ne sais pas qui c’est, mais je sais que je l’aime ».

12. Des bénévoles de l’asp fondatrice au cœur des EHPAD, auprès des soignants, pour témoigner des difficultés et des richesses partagées.

Nous voyons bien que les bénévoles de l’asp fondatrice ont toute leur place dans ces établissements. Aux côtés des soignants, ils sont un apport extérieur. Ils sont aussi une aide précieuse auprès des personnes âgées qui se retrouvent souvent seules et en grande détresse relationnelle face à leur maladie.

Nous sommes présents, nous accompagnons, nous écoutons et nous témoignons.

Nous témoignons de l’extraordinaire richesse de ces personnes, de leur immense besoin de relations humaines, et ce, jusqu’au bout de l’esprit quand la maladie l’attaque et jusqu’au bout de la vie. Une bénévole témoigne : « Avec ces personnes qui ont tout perdu, non seulement leur autonomie mais aussi leur mémoire et parfois toute parole, j’ai le sentiment de pouvoir approcher, de pouvoir percevoir ce qu’est l’humanité dans ce qu’elle a de plus profond, de plus essentiel. »

Leur « absence » est, en effet, toujours empreinte de présence. Les bénévoles comprennent que nulle personne n’est inaccessible, aussi enfermée en elle-même puisse-t-elle sembler. Ils apprennent que jamais nous ne sommes réduits à ce que nous avons perdu, que nous restons sujets de notre vie, quels que soient notre état et notre âge.

Même quand la grande confusion renvoie à la perte de sens et à nos peurs, l’extrême fragilité de ces êtres nous invite à repousser nos limites, portant ainsi l’accompagnement à son accomplissement.

13. Vers un développement de l’accompagnement des personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer : une expérience qui se partage

Depuis 2003 et sur la base de l’expérience d’accompagnement des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, notamment à Cousin de Méricourt, l’asp fondatrice construit et développe son savoir faire dans ce type d’accompagnement :

En Mars 2008, une formation sur la maladie d’Alzheimer a eu lieu à l’Hôpital d’Instruction des Armées Percy. Celle-ci était ouverte à tous et notamment aux soignants. Elle a été suivie en novembre 2008 d’un second volet, avec des intervenants majeurs dans ce domaine (C. Ollivet, J. Pellissier, H. Bérard).

Ce savoir-faire qui se construit dans les EHPAD trouve appui et écho dans la poursuite de la réflexion, grâce aux échanges et aux expériences partagées des soignants et des bénévoles.

L’asp fondatrice fédère ces expériences, tente de les transmettre et de les diffuser par ses formations, ses conférences, ses congrès et ses publications.

A Cousin de Méricourt, nos bénévoles sont invités à participer aux groupes de réflexion et d’éthique sur la bientraitance mis en place par l’établissement. Cette expérience montre bien que grâce à des regards et des pratiques croisés, dans un souci commun, la prise en charge des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer s’enrichit et progresse dans le respect des fonctions et de la place des soignants et des bénévoles.

Ce projet porte témoignage que tous ensemble, soignants, familles, bénévoles peuvent se rejoindre dans le souci qu’ils ont de prendre soin, de soulager et d’accompagner toutes ces personnes dans le respect et la dignité.

L’équipe des accompagnants bénévoles remercie vivement la direction et les soignants sans qui ce travail n’aurait pu voir le jour.

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[1] Projet primé en 2008 par la Fondation Médéric Alzheimer.

[2] Charte des soins palliatifs (dernière page de cette revue).

[3] Loi relative aux droits des malades et à la fin de vie. Lecture commentée. B. Devalois, ASP Liaisons, 2005,31, 6-10.

4 Décret n° 2000 – 1004 du 16 octobre  2000 relatif à la convention type prévue à l’article L. 111-5 du Code de la santé publique - NOR : MESPOO224435D -  J.O. du 18/10/200, p. 16541.
[5] Art. 10, Loi n° 99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir l’accès aux soins palliatifs. J.O. du 10 juin 1999, p.8487.

[6] « Témoignages croisés d’accompagnants bénévoles à propos des personnes atteintes d’une maladie d’Alzheimer », ASP Liaisons, 2008, 37, 27-30.

[7] « Vers une « bientraitance» de la personne âgée en milieu institutionnel ? » S. Noël, M. Saber, Revue Francophone de Gérontologie et de Gériatrie, 2007,133, 112-116.

« Accompagner la personne âgée confuse et désorientée : Expérience d’une équipe de bénévoles de l’asp fondatrice »  C. Roche, Revue Francophone de Gérontologie et de Gériatrie, 2007,133, 118-119.

« Accompagnement en gériatrie : particularités liées à l’âge ? » V. Poiroud, Revue Francophone de Gérontologie et de Gériatrie, 2007,133, 120-124.

[8] « La détresse de la personne âgée : Quel accompagnement ? » Tout Prévoir, 2007, 384, 26-29.