« Le Pansement Schubert » : La musique pour atténuer la douleur. Claire OPPERT, violoncelliste, Dr Jean-Marie GOMAS, CHU Sainte-Périne, Paris AP-HP.

Claire Oppert, Dr Jean-Marie Gomas.  Rencontre autour des soins palliatifs en Île-de-France. CRSA 5 octobre 2017.

Même en Unité de soins palliatifs, persistent parfois chez les malades des douleurs induites par les soins ou des inconforts résiduels. Pour ces patients touchés par ces actes de soins pénibles, voire douloureux, malgré une bonne maîtrise globale des symptômes, le Docteur Jean-Marie Gomas et l’équipe soignante, en collaboration avec Claire Oppert, violoncelliste professionnelle et art-thérapeute musicale, proposent une contre stimulation sensorielle via l’art-thérapie musicale.

Les effets bénéfiques de séances d’art-thérapie musicale auprès de patients hospitalisés en phase palliative sont connus, notamment depuis plusieurs études réalisées par l’équipe de l’Unité fonctionnelle « Douleur Chronique et Soins Palliatifs » du CHU Sainte-Périne à Paris (Impact global de l’art-thérapie musicale en soins palliatifs en 2012 ; Analyse qualitative de paroles de patients lors de séances de musicothérapie 2013 ; Art-thérapie et récupérations des capacités résiduelles chez des patients atteints de démence 2014.)

Cette nouvelle étude clinique a été nommée « Pansement Schubert » à la suite d’une diminution radicale de la douleur chez une patiente démente, lors d’un pansement difficile, à l’écoute du thème du mouvement lent du 2ème trio de Schubert, joué au violoncelle devant la patiente.

Soutenue par le Centre d’étude et de formation sur l’accompagnement des malades (CEFAMA), la Fondation APICIL et la Fondation AGIPI, et menée depuis 2014, cette étude est innovante, prospective, ouverte et mono-centrique. Elle se propose en effet d’observer l’effet de la musique vivante (violoncelle seul) chez les patients indiqués et ayant donné leur accord quand ils sont communicants, lors de soins tels que toilette, pansement d’escarre, pose de voie veineuse et ponction d’ascite.

La population étudiée (230 séjours par an sur 10 lits avec une durée moyenne de séjour de 12 jours) est atteinte à 80% de cancer, 10% de maladies neurologiques, 10% autres. Par ailleurs, 20% des patients sont déments et 5% sont psychotiques.

Les soignants eux-même colligent sur une fiche d’observation spécifique l’âge, la pathologie, l’état cognitif, le goût pour l’art, le type de soins, la prémédication, la durée de la séance ; puis sont mesurés avant, pendant et après le soin : la fréquence respiratoire, l’amplification thoracique, l’état algique (échelle verbale simple, échelle comportementale simplifiée), la communication et l’anxiété (directe exprimée et indirecte héteroévaluée), ainsi que le ressenti émotionnel du patient et du soignant.

Les résultats sur 106 pansements effectués à ce jour, avec fiche comparée avec et sans musique, ont montré une atténuation de la douleur allant  de 10 % à 50 % lors d’un soin « Pansement Schubert » ainsi qu’une nette décontraction musculaire, une atténuation manifeste de l’anxiété du patient et, point fondamental, un impact bénéfique massif sur les soignants contribuant à de meilleurs soins.

Il nous faut préciser qu’il n’y a pas que du Schubert qui résonne durant les séances, mais aussi du Bach, Mozart, Beethoven, Tchaïkovsky, Rachmaninov, des airs d’opéra, des chansons bretonnes et andalouses, de la musique juive, arabe, africaine, du jazz, de la variété et même- du rap et du rock maghrébin !

Ainsi, malgré des difficultés méthodologiques concernant l’évaluation (difficultés d’effectuer des échelles validées longues sur un laps de temps court) et la subjectivité (effet de la musique sur les soignants engagés dans le soin influant positivement le soin), les séances d’art-thérapie musicale « Pansement Schubert », méthode créative d’accompagnement du soin douloureux, ont un impact positif incontestable sur le ressenti douloureux et l’anxiété des patients ainsi que sur le bien-être psychologique des soignants pendant des soins complexes.

La nature même de la contre stimulation musicale, le violoncelle, instrument au timbre chaud, proche de la voix humaine, nous amène à modifier les exigences habituelles de « neutralité » ou «d’objectivité» d’une recherche scientifique et ouvre à tous des questionnements essentiels.

De façon plus large, nous pouvons dire que le pouvoir d’entraînement, l’effet relationnel, l’effet tantôt apaisant ou stimulant de la musique, orientés dans une visée thérapeutique, permettent de réaliser une véritable « animation existentielle » jusque dans les profondeurs humaines, et ce quels que soient l’avancée de la pathologie, l’état cognitif et le degré de vigilance du patient.

Ainsi la musique vivante, à travers cette expérience globale – corporelle, sensorielle, émotionnelle et spirituelle – permet à la personne malade, au cours du soin douloureux, de rejoindre un noyau identitaire, profond, sain et vivifiant de son « être » – et ce malgré les souffrances et le morcellement induits par la douleur, la maladie grave et l’approche de la mort.