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Auteur : Béatrice GAUSSORGUE Un 26 décembre, l’hôpital s’étant en partie vidé pour les fêtes, j’avais fait rapidement le tour du peu de malades restants et suivis par l’équipe mobile de soins palliatifs. Un interne me suggéra d’aller rendre visite à Monsieur P., très isolé, et qui aimait bien parler. Je découvris un monsieur très maigre, au visage émacié, à la peau ridée, à l’œil pétillant, avec des cheveux gris retenus par un élastique, des chicots et des ongles noirs. Il m’accueillit fort aimablement, faisant d’emblée un parallèle avec feu sa vieille mère qui avait été, semble-t-il, accompagnée par des bénévoles. En visitant un timide plombier atteint d’un cancer de la langue, qui s’exprime comme il peut, et un peu fort, je fais la connaissance de Paul, son voisin coléreux qui se plaint assez violemment d’avoir été réveillé durant sa sieste. Le point commun de ces deux malades : c’est la rue. Michel, outre un ulcère, a un pied entièrement gelé pour avoir dormi dehors par moins 6° ; Paul, quant à lui, souffre d’un très violent mal de dos dont on cherche l’origine. Dans les deux cas, nos visites se succéderont pendant de nombreuses semaines. Michel multiplie les conversations sur un ton mondain. Il est intarissable. Il me parle d’une grande compagnie d’assurance qu’il aurait fondée. A d’autres, il a évoqué sa carrière d’avocat et exhibé d’anciens dossiers. Un soignant, lui, aura compris qu’il était autrefois ingénieur en travaux publics expatrié… Impossible de se faire une idée sur ce qu’il est vraiment. Mais finalement, quelle importance ? Paul, « braillard » invétéré, m’attend toujours dans le couloir. Il me raconte ses « bitures », ses quinze années de Centrale durant lesquelles il a connu les derniers condamnés à mort. Il s’ennuie de sa guitare confiée à un « pote », lui, le passionné de flamenco, et de son chien, un brave toutou formé à l’attaque qu’il serait le seul à pouvoir approcher sans danger et qui garde le « squat ». Michel, le « mondain », évoque rarement sa dérive mais parle avec amertume de l’abandon des siens. Il me montre son pied gelé, en tous points semblable à une aubergine presque noire. Sa hantise est d’avoir à subir une amputation : « il existe d’autres solutions j’en suis sûr ! ». Paul, le « braillard », revendique haut et fort son état d’alcoolique. Il a hâte de sortir, ne veut dépendre de personne, veut vivre dans la rue. Il n’ira pas, malgré la demande de sa fille, la rejoindre en Corse : « parce que je sais très bien que je serais torché, et que je ne veux pas imposer un grand-père clodo à mes petits-enfants ». Il veut qu’on le soulage et qu’on lui fiche la paix. Après une semaine d’absence, j’ai retrouvé Michel dans un autre service, la jambe amputée jusqu’au genou. Des spasmes de douleurs contractaient son visage. Il était de plus en plus morose. Quand il allait un peu mieux il projetait de trouver des fonds pour disposer d’un fauteuil électrique. Petit à petit Michel a perdu confiance et s’est fermé. Quant à Paul, il s’impatiente, il sort en ville et en revient fort imbibé, ce qui lui vaut, à terme, son exclusion de l’hôpital ! Michel souffre de plus en plus : on lui a raccourci son moignon : « Mon dieu, quelle fin de vie ! » me dit-il un jour, au bord des larmes. Il se laisse aller et refuse de s’alimenter. Un lundi, je suis arrivée dans le service et ai demandé de ses nouvelles : « il est mort mardi dernier » m’a-t-on répondu, entre deux portes. « Vous savez, c’est sûrement mieux pour lui »… Peut-être… Qu’en penser ? Nous qui l’avons accompagné comme nous avons pu durant plusieurs mois, nous nous retrouvons face à une histoire particulière, à l’image de ce que nous avons perçu de lui : sans début ni fin… Qui était-il, lui qui s’intéressait à tant de choses ? Sa famille est-elle réapparue ? A-t-il été enterré comme un indigent ? A ma plus grande joie, telle une vieille connaissance, je retrouve Paul dans la rue, assis sur des vieux cartons, voisinant avec un litron de rouge premier prix, bien entamé, en plein centre ville. Il joue des fragments de flamenco sur sa fameuse guitare, tout en braillant des inepties à gorge déployée. Il est tout aussi ému et ravi que moi. Il m’offre de prendre place à ses côtés, exactement comme lorsque qu’il m’invitait à m’asseoir au bout de son lit d’hôpital, offre que je décline car, outre les problèmes rédhibitoires d’ordre olfactif, il faudrait investir dans une autre sorte de lien qui n’est plus du ressort de l’accompagnement en palliatif... Il me semble que ce n’est plus ma place. Une fois son interlocuteur parti, je lui demande s’il s’en sort, pour ses premières journées dehors. Il me répond que c’est un peu dur, et moi je sors fièrement 5 euros de mon portefeuille… Il se met alors à pleurer : « j’en veux pas », me dit-il « t’as tout gâché ! ». Je me trouve stupide… Au final il garde l’argent, mais je le sens blessé dans son orgueil. Je m’en suis énormément voulue de ma maladresse. Par ce geste, je lui avais confisqué la valeur de nos échanges passés : j'avais rétabli entre nous une barrière « sociale » qui s’était pourtant en grande partie estompée à l’hôpital. J’ai brutalement pris conscience qu’avec des personnes marginalisées, l’absence de contrepartie pour notre écoute et notre attention peut donner à ces rencontres une valeur insoupçonnée. La boucle était bouclée… Pendant quelque temps, Paul m’attendait parfois à la sortie du métro et je lui faisais un signe amical. Je ne crois pas l’avoir jamais entendu se plaindre de son sort… |