La bonne mort existe-t-elle? (1)

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La Journée de l’ASP du 5 novembre 2016 qui s’est déroulée à l’IFSI de l’hôpital St Joseph, a été un grand succès tant du nombre de participants ( nous avons du refuser plus de trente demandes faute de place) que de la qualité des interventions.

JFC
Après avoir accueilli les intervenants et les participants Jean-François Combe, Président de l’ASP fondatrice, présente le thème de cette journée : « La bonne mort existe-t-elle ? » et encourage l’auditoire, à relire la circulaire Laroque du 26 août 1986, relative à l’organisation des soins et à l’accompagnement des malades en phase terminale.

 

Danièle Lecomte a ensuite présenté le programme détaillé de la journée.

Synthèse de la matinée rédigée par Françoise Desvaux bénévole de l’ASP fondatrice, photographies de François Mayu.

La mort attendue : Qu’est-ce que la bonne mort en USP ? Dr Sylvain Pourchet, Médecin de Soins Palliatifs

SPSylvain Pourchet a rejoint l’Unité de soins palliatifs du Dr Michèle-Hélène Salamagne à l’Hôpital Paul Brousse (AP-HP) à Villejuif en 1996 dont il a pris la direction du service de 2004 à 2014. À travers cette expérience il a pu consolider le lien avec l’ASP fondatrice et les bénévoles. Il poursuit aujourd’hui son soutien au développement des soins palliatifs en France en tant qu’enseignant, membre du comité scientifique du Fonds pour les soins palliatifs et vice-président du Centre de recherche pour l’accompagnement et l fin de vie.

L’ expérience de Sylvain Pourchet lui permet de parler de la mort en USP mais ne lui permet pas de dire si la bonn
e mort existe. Pour lui l’’important est de permettre aux personnes en fin de vie de vivre au mieux ce qui leur reste à vivre.
En Belgique, la bonne mort serait l’euthanasie, en augmentation de40 % ces dernières années.
En USP, les équipes essayent de faire le maximum pour accompagner, soigner, rendre service. L’idéal est contenu dans la circulaire Laroque déjà évoquée par Jen François Combe dans son introduction.

Henri Dunan disait : “ Seuls ceux qui sont assez fous pour penser qu’ils peuvent changer le monde y parviennent ! ”.
Idéaliser une bonne mort, c’est entrer dans l’idéologie risquer de manquer le soin et donc la rencontre avec l’autre.
Si  le soignant a un idéal du soin, cela lui permet-il d’accueillir le patient dans son questionnement ? S’il impose son idéal, il ne soigne pas très bien. L’idéal est de ne pas nuire. L’iatrogénie peut exister dans le désir de bien faire.

Lors de l’entrée d’une personne en unité de soins palliatifs (USP), à la question  « Que venez-vous faire ici ? »  la réponse est souvent « je suis venu pour mourir ». Il est extrêmement important de repréciser l’espace dans lequel il est possible de  faire alliance avec les personnes : « non, les personnes viennent à l’USP pour que nous prenions soin d’elles. Mourir n’est pas l’objectif ».

Pour Sylvain Pourchet nous  assistons depuis quelques années à une radicalisation des ponts de vue, et de nombreux débats ont laissé flotter la confusion entre les termes euthanasie, sédation … et où les USP pourraient devenir l’endroit où l’on vient mourir.  Ce point de vue radicalement différent du projet initial des USP et de l’idéal du soin pas toujours partagé par l’idéal individuel. Il existe pourtant un espace de rencontre qui est le soin. Cet espace toujours présent dépasse les idéaux et les idéologies.

L’USP est un lieu de vie où le malade est accueilli avec ses symptômes, qui ne se résume pas aux soins techniques mais qui propose un espace où il trouvera un soutien psychologique à sa souffrance globale et où le malade pourra continuer à affirmer sa personnalité.

Par ailleurs, toutes les personnes ne se posent pas de problèmes existentiels en fin de vie. Il n’est pas nécessaire de leur imposer de se poser des questions existentielles.
Sylvain Pourchet nous donne deux exemples :

  • une jeune patiente dont le seul souci était : que vont devenir mes enfants ? Lorsque ce problème psychologique et social a pu être abordé, la douleur a diminué. Il était nécessaire de comprendre ce qu’attendait vraiment cette patiente, cette écoute lui a permis de trouver l’espace mental nécessaire pour reprendre son rôle de mère. Le lien entre psychisme et douleur est donc bien réel. En USP les soignants et les bénévoles doivent vérifier les besoins réels des patients. La plupart d’entre eux n’ont pas besoin d’autant d’interventions. Ils possèdent leurs propres ressources pour régler leurs problèmes.
  • un jeune homme de vingt ans ans en lycée professionnel qui a eu un malaise pendant les cours. Transporté aux urgences est découverte une tumeur abdominale, il est transféré en réanimation. Puis lui est administrée une chimiothérapie, qui est suivie de nombreuses complications. Il est mis sous sédation, lorsque celle-ci est  arrêtée, c’est pour lui apprendre qu’il est mourant et qu’il va être transféré en USP où il arrive hébété. Pendant son hospitalisation, la mère de ce jeune est décédée et a été enterrée. Lors de son admission en USP, le seul souci dont il fait part au médecin est d’aller au cimetière sur la tombe de sa mère. L’équipe et la famille prenant leur part de risque se sont mobilisées pour que son souhait soit réalisé. Une pompe à morphine avait été posée, qu’il n’a pas utilisée car n’ayant pas mal et considérant celle-ci comme une aide à mourir. Par la suite son état s’est amélioré. Son souci à présent était de passer son examen disant au médecin « vous savez, il n’y a pas de rattrapage.. ». Un projet palliatif a été mis en place avec l’école et les enseignants ont aménagé ce qui pouvait l’être pour permettre a cet étudiant de passer son examen sous la surveillance d’un bénévole. Un retour à domicile a pu être envisagé par la suite.

Ces situations montrent que le travail du médecin en soins palliatifs est de trouver l’espace pour aider la personne là ou elle souhaite être aidée dans ce qui est techniquement et humainement possible. « C’est le patient qui doit rester au centre des préoccupations »

La mort brutale, Accident, AVC : la mort aux Urgences. Dr Bertrand Galichon, Médecin urgentiste à l’hôpital Lariboisière

BGLe service des Urgences de l’hôpital Lariboisière accueille de 250 à 300 patients par jour.
Le service des Urgences est très concerné par la mort, ce service étant le second service dans lequel on meurt à l’hôpital. La population qui se rend aux urgences est âgée (95 % > 75 ans) et le motif de recours principal est l’altération de l’état général. La durée moyenne de séjour est de trois heures à huit jours. 40 % des patients sont hospitalisés, 36 % décèdent, 14 % repartent au domicile et 10 % sont transférés en Soins palliatifs.

Il existe  un déficit de formation des soignants aux soins palliatifs. Selon une enquête menée auprès des soignants, aux questions : connaissez-vous la Loi Léonetti,? Connaissez-vous les fondamentaux des soins palliatifs ? ce sont  les aides-soignantes ont obtenu de meilleurs résultats que les médecins.

Les soins palliatifs et la fin de vie aux urgences :

  • ce n’est pas la mission des urgences, les locaux ne sont pas adaptés et ça prend du temps ;
  • ce recours à l’ESP n’est pas systématique, pas suffisamment anticipée ;
  • les soignants se sont sentis en difficulté en raison d’opinions divergentes avec les collègues et la famille ;
  • le rôle de l’aide-soignant est primordial ;
  • les discussions de limitations thérapeutiques ne sont pas systématiques ;
  • souhait d’être formé aux soins palliatifs
  • une procédure améliorerait leur pratique professionnelle.

Comment prendre en charge des patients en fin de vie dans le contexte de l’urgence :

  • activité importante ;
  • discours contradictoire de la direction ( trois lits dédiés sur l’établissement) ;
  • manque d’uniformisation des pratiques;
  • manque de communication ;
  • actions  à mener pour améliorer la situation :
    • formation des agents aux soins palliatifs
    • élaboration d’une fiche d’engagement thérapeutique

En conclusion : « Il est nécessaire de développer une réflexion collective, pluridisciplinaire permettant un soin le plus adapté aux souhaits des patients dans le respect de la dignité de chacun mais aussi une évolution de la philosophie des soins dans les services d’urgence ».

La mort au domicile. Dr Frédérique Noël, Médecin Généraliste du réseau Ensemble

DomLe Dr Frédérique Noël, est médecin généraliste dans le 14ème arrondissement de Paris, elle exerce également au sein du réseau Ensemble et a des fonctions universitaires.

Pour leFrédérique Noêl, l’important n’est pas la mort au domicile mais ce qui se passe avant. Selon les sondages 90 % des personnes souhaitent une fin de vie à domicile mais est-ce réalisable ?

Pour qu’une fin de vie à domicile puisse être envisagée, plusieurs conditions doivent être réunies : le patient doit pouvoir ouvrir sa porte, manger, subvenir aux gestes du quotidien, appeler en cas de nécessité et obtenir une réponse, se procurer les traitements nécessaires. Les conditions idéales seraient d’avoir un appartement fonctionnel, des aidants (famille ou autres) et des moyens financiers suffisants.

Malgré la volonté du malade de rester à domicile, certaines circonstances imprévisibles telles que l’évolution de la maladie, son propre comportement ou celui de l’entourage, peuvent conduire à une hospitalisation.

Frédérique Noël présente le cas d’une patiente de 75 ans atteinte d’un cancer relevant des soins palliatifs qui souhaitait rester à domicile. Une aide intermittente a été organisée. Cette personne gardait ses deux fils à distance. Lors de la visite d’un de ses fils, celui-ci se rendant compte de la situation dans laquelle se trouvait sa mère a appelé le médecin de garde. Lors de l’entretien, il est apparu un grand décalage entre la volonté de la mère et celle de ses enfants. La décision à la fin de la visite fut de ne pas transférer la patiente aux urgences et de prévoir une réévaluation de la situation avec le médecin traitant, la patiente et ses enfants. Cet exemple illustre parfaitement la nécessité d’une concertation et de l’évaluation du niveau de compréhension des uns et des autres.

Le rôle du médecin traitant est de s’occuper de patients connus, d’identifier ses souhaits,  d’évaluer ses besoins et ses recours (si la volonté est de rester au domicile:clefs chez un voisin, mise en place d’aides, aide financière), de rencontrer les proches, de s’intéresser au confort médical, à ses préoccupations, à ses angoisses, d’ évaluer la douleur, d’ avoir de la disponibilité pour ce patient et d’ avoir un relais possible.

L’hospitalisation à domicile ne peut être mise en place sans anticipation et nécessite une réévaluation en permanence.

Les aides possibles pour le maintien au domicile sont les réseaux, les IDE, aides ménagères, aides-soignante. Pour que toutes ces ressources puissent être informées en temps voulu et se coordonner, le cahier de transmission est indispensable.
Il existe aussi la possibilité du congéde solidarité familiale (de trois mois renouvelables unefois et transformable en mi-temps) ainsi qu’une allocation familiale d’accompagnement (55,21 €/jour pendant 21 jours ou 42 jours à mi-temps).

Un accompagnement à domicile qui nécessite, après une réévaluation, une hospitalisation n’est pas un échec. Afin de répondre au mieux aux souhaits du patient une préparation et une anticipation sont indispensables.

« Malheureusement, bien que ce maintien à domicile soit fortement recommandé par les autorités, la difficulté actuelle est le manque de moyens tant logistiques qu’humains ».

La mort au XXIème siècle. Damien Le Guay – Philosophe

DLG


Damien Le Guay, philosophe, est vice-président du Comité national d’éthique du funéraire. Il enseigne à l’Espace éthique de l’AP-HP (sur les questions d’éthique de la mort) et est maître de conférences à HEC. Il fut auditionné par la première commission parlementaire de Jean Leonetti.

Historiquement, la bonne mort a existé durant le premier millénaire comme une mort de récapitulation, de transmission pour s’offrir à plus grand que soi (à la famille, à Dieu). La mauvaise mort étant de mourir seul, sans parole, sans être accompagné. Aujourd’hui la mort idéale est une mort silencieuse dans son sommeil.

Aujourd’hui pour l’individu singulier, la responsabilité est prise par lui-même, ce qui entraîne :

L’idéal de la bonne mort tel qu’il existait a été révisé et vise à éviter les injonctions destructrices et les sollicitations violentes. Collectivement nous sommes confrontés à un double risque :

– passer d’un soulagement en dialogue à une sédation profonde et continue.
– modifier l’euthanasie et qu’elle devienne un soin parmi d’autres, qu’elle s’inscrive dans une sorte de continuité palliative et soit considérée comme un acte médical, pas contre Hippocrate, mais dans le prolongement d’Hippocrate.

Le nouvel idéal de la bonne mort qui arrive est l’euthanasie, l’ euthanasie douce. Les frontières entre faire mourir et laisser mourir ne sont pas si grandes. Nous ne sommes plus dans l’opposition de deux idéaux mais dans un système où la sédation s’impose comme un idéal et que l’euthanasie soit une solution qui s’impose. L’euthanasie est la solution qui correspond aux impératifs du monde moderne :

  • correspond aux besoins d’individualisation ;
  • correspond à une perte de la familiarité avec la mort ;
  • l’euthanasie correspond aux incertitudes éthiques liées de façon magistrale aux gigantesques progrès médicaux qui ont été faits. Le médecin sait prolonger mais quid du principe spirituel ? Elle peut apparaître comme la solution la plus simple et un peu inévitable.

La cause est entendue pour ceux qui nous dirigent et ceux qui font les medias et l’opinion. L’euthanasie est considérée comme une liberté.

Nous sommes peut-être dans les derniers moments de l’idéal du palliatif contre l’idéal de l’euthanasie.

Les Français ont dans l’idée de pouvoir accéder à l’euthanasie. Par contre, lorsqu’on leur demande ce qu’ils choisiraient entre l’euthanasie et les soins palliatifs, ils optent en grande majorité pour les soins palliatifs.

La demande d’euthanasie est faite par défaut de l’hôpital qui s’occupe de la maladie mais pas du patient. On ne tient pas compte de la personne, on ne leur demande pas leur avis. Il existe une responsabilité immense du système de santé, des hôpitaux, des médecins, un manque d’accès aux soins, un manque de formation des médecins au soulagement de la douleur.

  • l’acharnement thérapeutique, le surinvestissement en soins sont un idéal a contrario. Le moment où il faut arrêter est difficile et humainement compliqué ;
  • la nécessité de la collégialité ;
  • remettre en cause la tendance administrative déshumanisante des hôpitaux, la durée moyenne de séjour devant être la plus courte possible ;
  • s’interroger sur la sédation ;
  • mettre en œuvre la loi Leonetti pas toujours saisie par les équipes des hôpitaux.

Il existe un effet d’extension à l’infini dans certains pays lorsque l’euthanasie est pratiquée (âge, souffrance psychologique, etc.
Damien LE GUAY illustre ses propos par l’exemple en Belgique d’une mère ayant obtenu d’être euthanasiée car elle ne supportait pas le chagrin après le décès récent de sa fille.

Il existe une différence de nature entre l’euthanasie et les soins palliatifs. Il ne faut pas que la pratique floue soit de nature à supprimer la frontière.

Conclusion : Droit pour les patients à avoir des émotions et de pouvoir les exprimer. En fin de vie, tout est fait pour étouffer ces émotions :

  • de l’idéal de la bonne mort : avons perdu comme idéal social cette conscience de la récusation ultime du dernier sursaut de convoquer ses amis. Tout est fait pour calmer, éteindre et étouffer ces émotions ;
  • de la difficulté des médecins à affronter ces souffrances ultimes ;
  • la psychiatrie se méfie elle-même des émotions. Il faut se souvenir toujours de Georges Canguilhem (Médecin, philosophe … »La raison est régulière comme un comptable et la vie anarchiste comme un artiste ! Essayons de créer nos vies ! »

Damien Le Guay nous souhaite d’être du côté de la vie anarchiste.