Réflexions sur le rapport Sicard

Auteur : Danièle Lecomte, Vice-présidente de l’ASP fondatrice

Auteur : Danièle Lecomte, Vice-présidente de l’ASP fondatrice

[accordion openfirst=true clicktoclose=true tag=h3] [accordion-item title= »Le contexte sociétal »]

Le mouvement des soins palliatifs, né en Angleterre à la fin des années 60 et initié par Ciceley Saunders, s’est développé en France une décennie plus tard, porté par quelques professionnels du soin et soutenu par des citoyens ordinaires, en réaction à l’hypermédicalisation de la fin de vie des malades.

En 1986, la circulaire Laroque  est le premier texte législatif abordant la question de l’accompagnement des personnes en fin de vie et proposant le développement des soins palliatifs en France. Depuis lors, la société a évolué et la législation aussi. Trois lois relatives aux droits des malades ont été promulguées :

  • en 1999, la loi relative à l’accès aux soins palliatifs ,
  • en 2002, la loi relative aux droits des malades  dite loi Kouchner
  • et en 2005 la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie  dite loi Leonetti.

A la faveur de la campagne électorale présidentielle de 2012, l’association pour le droit à mourir dans la dignité, l’ADMD créée en 1980, favorable à la légalisation de l’euthanasie s’est faite le porte-parole des personnes demandant aux médecins une aide active à mourir. Cette question a été inscrite dans le programme  du candidat socialiste.

Mais qu’en est-il aujourd’hui de la connaissance et de l’application de ces lois ? Sont-elles suffisantes ? Que demande la société française du XXI° siècle ? Que signifie dans les sondages l’adhésion d’une majorité de la population à la légalisation de l’euthanasie ? Pour éclairer les réponses à ces questions, le président de la République, François Hollande, a missionné le Pr Didier Sicard qui a remis son rapport le 15 décembre 2012.

[/accordion-item] [accordion-item title= »Une commission à l’écoute »]

Composée de 8 membres, sans a priori ni préjugés, la mission a sillonné la France pendant trois mois, organisant en province 9 débats réunissant 250 à 400 citoyens à chaque fois, 28 visites et échanges avec le public et les professionnels.

Quatre vingt dix personnes ont été auditionnées : médecins – personnels administratifs – philosophes – religieux – bénévoles – représentants d’associations …. Des membres se sont déplacés en Suisse, Belgique, Pays-Bas et Oregon pour rendre compte des expériences étrangères. 2 sondages TNS Sofres  – l’un quantitatif, l’autre qualitatif – ont été commandés.

[/accordion-item] [accordion-item title= »Le regard de la société »]Mourir est vécu comme l’échec de la médecine et non pas comme la fin naturelle de la vie. Les personnes rencontrées expriment la peur de souffrir, d’être abandonnées, de vivre une mort sociale avant leur mort biologique, de perdre la possibilité de décider pour elles-mêmes. La peur est aussi liée à l’incertitude sur les évènements à venir. Le poids des expériences négatives vécues par des proches est très présent et lourd. La « bonne mort » souhaitée est sans souffrance et choisie comme l’ultime liberté.[/accordion-item] [accordion-item title= »Les critiques de la médecine »]Elles sont très vives. Une médecine qui n’écoute pas, qui dénie la souffrance, qui pense pour le malade. Une culture d’activisme, valorisant le curatif et la technique. Une médecine qui n’anticipe pas, incapable d’engager une démarche palliative. Un déficit de culture palliative entrainant un clivage, d’où un sentiment de rupture ou d’abandon à l’annonce des soins palliatifs. Une absence de travail en interprofessionnalité et en collégialité.[/accordion-item] [accordion-item title= »Les conséquences »]Le sentiment général est qu’on meurt mal en France. La mort doit avoir le visa de la médecine pour être acceptée, on meurt donc à l’hôpital (70% des décès) où règne une culture d’hyperspécialisation, et un surinvestissement technique : la mort y est vécue comme un échec. Au domicile, il n’y a pas d’alliance avec les professionnels, pas de soutien des proches, pas de structures de répit. L’inégalité  devant la mort est socio-économique et géographique. L’offre de soins palliatifs est très insuffisante. L’euthanasie représente une réponse au besoin d’anticipation face à l’incertitude angoissante et à la souffrance inévitable de la fin de la vie.[/accordion-item] [accordion-item title= »Le contexte législatif »]

Déjà, dès 1999, la loi du 9 juin 1999 posait deux principes nouveaux : le droit aux soins palliatifs et à un accompagnement pour toute personne dont l’état le requiert et le droit pour le malade de refuser un traitement. La loi Kouchner, en 2002, a renforcé le droit du malade à ne pas subir un traitement contre son gré, même lorsque ce refus peut abréger sa vie et elle a consolidé le droit aux soins palliatifs en précisant que la douleur doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée.

La loi Leonetti bien appliquée permet de répondre à la plupart des situations de fin de vie. En effet, elle offre au malade la possibilité de demander au médecin se suspendre ou de ne pas entreprendre des traitements jugés comme une obstination déraisonnable. La primauté est donnée à la qualité de la vie sur la durée de la vie. Lorsque le malade est inconscient ou incapable de d’exprimer sa volonté, le médecin peut prendre lui-même une décision d’arrêt de traitement si ce dernier ne vise qu’à prolonger artificiellement la vie. Cette décision, dont le médecin porte la responsabilité, doit respecter une procédure collégiale et doit être précédée par la consultation et la prise en compte des directives anticipées (si elles existent), de l’avis de la personne de confiance, ou à défaut de celui de la famille ou des proches. Elle autorise l’usage des produits dits à double effet et la sédation en cas de détresse terminale. Elle reconnaît les directives anticipées et le rôle de la personne de confiance.

Méconnue, cette loi apparaît à la société comme une protection des médecins contre la judiciarisation et non comme une ouverture sur un libre choix pour les malades. La limitation ou l’arrêt des traitements sont perçus comme un abandon. Pourtant, considérée comme une grande loi par beaucoup d’observateurs, elle a inspiré bon nombre de législations étrangères. Il est impératif d’en diffuser la connaissance, tant auprès des citoyens que des professionnels.

[/accordion-item] [accordion-item title= »Les expériences étrangères »]

Elles apparaissent peu transposables en France

  • En Suisse : ce sont des associations militantes qui proposent une aide au suicide.
  • En Hollande : la tolérance à l’euthanasie est très antérieure à sa légalisation  en 2002 et 80% des euthanasies ont lieu au domicile.
  • En Belgique : les euthanasies sont plus fréquentes en Flandres qu’en Wallonie et les associations militantes sont très présentes dans la commission d’évaluation des pratiques d’euthanasie.
  • En Oregon : on observe une culture d’autonomie très forte et l’absence du médecin dans l’aide au suicide.
[/accordion-item] [accordion-item title= »Les recommandations »]

La commission recommande en priorité :

  • d’informer la société et les professionnels sur la loi Leonetti et d’en exiger l’application,
  • de redéployer les ressources d’un curatif disproportionné vers un meilleur prendre soin de la fin de vie,
  • de développer la culture palliative et d’abolir la frontière entre soin curatif et soin palliatif,
  • d’exiger la prise de décision collégiale,
  • d’impliquer davantage les accompagnants bénévoles,
  • de réduire les inégalités dans l’accès à l’accompagnement,
  • de développer les soins palliatifs à domicile.
[/accordion-item] [accordion-item title= »Les propositions d’une solution à la française »]

Concernant les conduites prévues par les lois de 1999, 2002 et 2005.

Le contenu de la loi Leonetti doit être mis en application :

  • Les directives anticipées : il faut les faire connaître, mieux les formaliser, créer un fichier national.
  • La formation. Doivent être rendus obligatoires :
    • l’enseignement des soins palliatifs, la formation à la relation humaine et au juste soin,
    • le stage d’internat en soins palliatifs pour les étudiants généralistes et spécialistes concernés par la mort.
    • La formation continue des médecins en activité doit régulièrement porter sur les soins palliatifs et la relation à la personne malade en fin de vie.
  • Dans l’exercice professionnel il est nécessaire d’introduire  la démarche palliative dès l’annonce de la maladie grave et d’associer le médecin de soins palliatifs aux instances de concertation pluridisciplinaires. Pour les hôpitaux et les EHPAD : on doit former les urgentistes au non-acharnement thérapeutique, introduire la qualité de la fin de vie dans les critères de certification des établissements. Au domicile : il faut renforcer le congé de solidarité, soutenir les associations de bénévoles, développer les structures de répit.
  • L’engagement des ARS (Agence Régionale de Santé) :
    • On doit s’assurer que chaque établissement de santé ait accès à une équipe mobile de soins palliatifs,
    • offrir sur leur site Internet une information sur les structures et compétences dans la région afin d’assurer la continuité des soins à domicile jusqu’au décès,
    • s’assurer de la couverture du territoire en soins palliatifs à domicile,
    • renforcer la coordination entre HAD, SSIAD et réseaux de soins palliatifs.
  • En phase ultime de l’accompagnement en fin de vie, en cas d’arrêt volontaire, à la demande du patient, de tout traitement visant à prolonger sa vie, on peut autoriser, après discussion collégiale, une sédation profonde terminale pour éviter un acharnement à « laisser mourir ».

Concernant les conduites non prévues par les lois.

  • L’assistance au suicide ne peut être envisageable que si sont garantis pour la personne la liberté de choix et l’autonomie, un réel accès à l’accompagnement et au soulagement des symptômes, dans le cadre d’un échange collégial entre le malade, les proches, le médecin traitant, un soignant accompagnant le malade et un médecin non engagé dans les traitements en cours
  • La commission met en garde à propos de la dépénalisation de l’euthanasie : L’euthanasie fait basculer la représentation qu’une société se fait du rôle et des valeurs de la médecine (devoir de soins et d’accompagnement).Tout déplacement d’un interdit crée d’autres situations limites, suscitant une demande infinie de nouvelles lois.
[/accordion-item] [accordion-item title= »Conclusion »]

En conclusion, la commission de réflexion sur la fin de vie éclaire les craintes des citoyens face à une médecine toute puissante, peu respectueuse de leur parole et de leur autonomie. Elle exige l’application des lois, l’impératif de décisions collégiales et souligne le danger de franchir la barrière d’un interdit.

« Un véritable accompagnement de fin de vie ne prend son sens que dans le cadre d’une société solidaire qui ne se substitue pas à la personne mais lui témoigne écoute et respect au terme de son existence. Ce rapport a cherché à prendre en compte le mieux possible la spécificité de chacune des situations rencontrées, pour mieux faire droit aux attentes et espérances des citoyens à l’égard de la fin de leur vie. »

C’est maintenant aux bénévoles d’accompagnement, riches et forts de leur expérience, de porter avec les professionnels le projet d’une société solidaire et de s’impliquer dans le développement de l’accompagnement et des soins palliatifs.

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