L’obstination déraisonnable, état des lieux en 2017. Médecin responsable du Service de médecine palliative au centre hospitalier René Dubos

Dr Bernard Devalois. Rencontre autour des soins palliatifs en Île-de-France. CRSA 5 octobre 2017.

Si l’obstination déraisonnable est définie par la loi, il n’existe pas « d’obstinomètre » permettant de décider à coup sûr ce qui doit être réalisé, ou non, chez le patient. Et malgré quelques situations médiatisées, combien d’autres restent-elles dans l’ombre ?

La loi française de 2016 permet de donner un cadre relativement précis à la définition de l’obstination déraisonnable. Trois paramètres sont à prendre en considération : l’utilité d’un soin ou non ; son caractère proportionné ou non ; l’existence d’une autre finalité que le seul maintien artificiel de la vie. Autrement dit, un acte de soins qui n’est pas utile, qui est disproportionné (engageant des moyens qui ne sont pas en rapport avec le bénéfice/risque par exemple) ou qui maintient artificiellement en vie sans espoir d’amélioration, doit être considéré comme déraisonnable, et à ce titre, doit être stoppé ou ne pas être mis en œuvre.

Un autre facteur, également mis en avant par la loi, est la volonté du patient qui peut fixer lui-même la limite entre ce qui lui apparait raisonnable et ce qui ne l’est pas. Il faut toutefois bien attirer l’attention sur le fait que sauf revirement de la jurisprudence en la matière (et la volonté exprimée dans les débats par le législateur), la loi française accorde au patient le droit de refuser un traitement (alinéa 3 de l’article Ier de la loi de juin 99, renforcé par la loi de 2005), mais en aucun cas celui d’en exiger un, a fortiori un traitement qui apparaitrait déraisonnable au médecin.

Le dispositif essentiel pour définir l’obstination déraisonnable est le processus de délibération collégial pluriprofessionnel. C’est en effet la discussion interprofessionnelle au cas par cas qui permet d’assurer le caractère le plus sage possible de la décision prise.

Si, au final, c’est bien sûr le médecin responsable du patient qui prend la décision, il doit s’entourer en tant que de besoin de l’avis d’autres collègues. Et aussi associer les autres professionnels de santé, dont l’avis est essentiel : infirmières, aides-soignantes, psychologues, etc.

Il doit également bien entendu intégrer l’avis du patient, la loi lui imposant de respecter un éventuel refus. Lorsque, mais seulement lorsque, le patient s’avère incapable d’exprimer son avis, l’entourage (et notamment la personne de confiance si elle est désignée) doit être consulté mais il est essentiel de rappeler que s’il est sollicité pour témoigner des volontés du patient empêché, il ne l’est pas pour prendre une décision ou pour y consentir.

Pas d’obstinomètre !

Il n’existe aucun moyen de détecter à coup sûr une situation déraisonnable mais l’existence de désaccords entre les différents acteurs de la délibération est probablement un très bon indice de l’existence d’une telle situation. Par contre l’absence de désaccord ne signifie pas forcément qu’il n’en existe pas.

On peut comparer l’obstination déraisonnable à un iceberg dont la partie émergée est très loin de refléter la réalité du danger. La partie la plus visible est ce que l’on peut appeler l’obstination déraisonnable médiatisée. C’est elle qui fait les titres des chaines d’info en continu et agite les réseaux sociaux. Et elle prend le plus souvent naissance dans un désaccord entre professionnels de santé d’un côté et entourage de l’autre sur le caractère raisonnable ou non de la poursuite des actes de maintien artificiel en vie pour un patient incapable d’exprimer sa volonté.

Alors que jusqu’il y a une dizaine d’année, ces situations mettaient en avant des professionnels qui poursuivaient des actes considérés comme déraisonnables par des proches qui souhaitaient qu’on laisse mourir en paix le patient, ce sont désormais les situations inverses qui font la une. Alors que les professionnels, sans doute sensibilisés par la loi de 2005, veulent mettre en œuvre un arrêt ou une limitation des moyens de maintien artificiel en vie, ce sont les proches qui s’y opposent par des recours juridiques et médiatiques.

Mais au-delà de ces situations médiatisées, il existe finalement assez peu de traces de l’expression de désaccords, par exemple au sein des commissions des usagers.

Il est plus que probable, selon les témoignages recueillis, que la plupart des situations d’obstination déraisonnable en milieu hospitalier restent totalement invisibles. Quand aux situations au domicile (y compris dans le structures d’hospitalisation à domicile), c’est une véritable boite noire. Et seule une reconnaissance officielle du rôle de vigies contre l’obstination déraisonnable pour le binôme infirmière/aide-soignante permettrait que s’allument plus souvent les nécessaires signaux d’alerte déclenchant le processus délibératif.

Des conséquences dramatiques

 L’existence d’actes déraisonnables contrevient à deux principes éthiques essentiels : le principe de bientraitance qui doit conduire à mettre en place un juste soin, adapté au mieux à ce que nécessite l’état du patient et le principe de non-maltraitance (Primum non nocere, premièrement ne pas nuire, disait Hippocrate) qui interdit de mettre en œuvre un soin maltraitant pour le patient.

L’obstination déraisonnable n’a jamais fait en France l’objet d’études pour en chiffrer précisément les coûts indus. Ils sont pourtant plus que probablement considérables et mériteraient une attention particulière.

Enfin, du fait de textes législatifs de plus en plus précis sur l’interdiction faite aux médecins de pratiquer une telle obstination, il est vraisemblable que les recours juridiques basés sur ce motif vont se multiplier pour des professionnels qui continueraient à mettre en œuvre des pratiques déraisonnables. Autrement dit, une judiciarisation de l’obstination déraisonnable est à craindre si les professionnels ne se conforment pas aux injonctions sociétales de refus de tout « acharnement thérapeutique ».

Alors, que faire ?

  • écouter les malades et les interroger sur leurs volontés .
  • respecter les volontés des patients ;
  • les inciter à rédiger des directives anticipées ;
  • les encourager à expliciter leurs volontés à leur personne de confiance ;
  • respecter le caractère contraignant des directives anticipées ;
  • réinterroger régulièrement en pluri-professionnalité le caractère raisonnable ou non des propositions thérapeutiques ;
  • reconnaitre au quotidien le rôle de vigie du binôme infirmière – assistance sociale contre toute obstination déraisonnable ;
  • mettre en place des indicateurs fiables des pratiques déraisonnables pour une réelle évaluation.

 

Pour prolonger la réflexion :

Rapport ONFDV 2011 : B Devalois, Chapitre 7 : Une première approche de la réalité de l’obstination déraisonnable, Documentation Française (disponible sur internet : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/124000093.pdf)

Les mots de la Fin de vie B Devalois, Presses Universitaires du Midi 2016