Les éléments nouveaux de la loi du 2 février 2016. Richard Desgorces, Professeur de droit à l’Université de Rennes 1

Richard Desgorces. Rencontre autour des soins palliatifs en Île-de-France. CRSA 5 octobre 2017.

Depuis plusieurs années, la question de la fin de vie n’est plus taboue, alors que paradoxalement la mort est davantage refoulée qu’autrefois. Plusieurs cas, notamment ceux de Vincent Lambert et de Vincent Humbert, ont contribué à alimenter le débat dans la société. C’est dans ces circonstances que le Parlement a adopté la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.

La loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie s’inscrit dans la continuité de la loi Léonetti du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie. L’objectif du législateur fut d’améliorer les dispositions existantes du Code de la santé publique (CSP), non de changer de principe en reconnaissant le droit d’obtenir un suicide assisté ou en dépénalisant l’euthanasie. Cependant, même si elle s’inscrit dans le prolongement de la législation antérieure, la loi du 2 février 2016 a apporté d’utiles précisions sur la relation entre le patient et son médecin dans le contexte particulier, et en même temps usuel, de la fin de vie.

Le patient

S’agissant du patient, quatre cas de figure peuvent être distingués.

Premier cas de figure, le patient détermine lui-même, après avoir échangé avec son médecin, ce qu’il souhaite. Il peut vouloir poursuivre le traitement ; il peut choisir d’être tenu dans l’ignorance ; il peut préférer que le traitement soit suspendu ; il peut aussi s’opposer à son application. L’article L. 1111-4, al. 2, CSP précise que « si, par sa volonté de refuser ou d’interrompre tout traitement, la personne met sa vie en danger, elle doit réitérer sa décision dans un délai raisonnable ».

Deuxième cas de figure, le patient a rédigé des directives anticipées. L’article L. 1111-11 du CSP apporte des précisions attendues et utiles sur quatre points. Premièrement, le législateur a créé un modèle de rédaction des directives anticipées. Mais rien n’empêche une personne de mettre librement, par écrit, ses souhaits pour sa fin de vie. Autre innovation de forme qui résulte du décret n° 2016-1067 du 3 août 2016 : un registre national est créé afin de conserver les directives anticipées. Deuxièmement, les directives anticipées sont valables tant qu’elles n’ont pas été révoquées, alors qu’avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, elles étaient caduques au bout de trois ans. Rappelons – ce point ne change pas – qu’elles sont révisables discrétionnairement. Il serait d’ailleurs inconcevable qu’il en soit autrement. Troisièmement, les directives anticipées « s’imposent au médecin pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement ». Le changement est considérable. Antérieurement, le médecin pouvait tenir compte des directives anticipées. Il restait maître de la poursuite du traitement, sous réserve de ne pas s’obstiner de façon déraisonnable. Aujourd’hui, le médecin est lié par les directives anticipées de son patient, sauf en cas d’urgence vitale et lorsqu’elles « apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale ». Quatrièmement, le CSP énonce que les personnes placées sous le régime de la tutelle ont la faculté de rédiger des directives anticipées avec l’autorisation du juge ou du conseil de famille. Et, le tuteur ne peut ni l’assister ni le représenter à cette occasion. En effet, les vœux d’une fin de vie ne peuvent être ceux du tuteur. En revanche, le CSP ne mentionne pas le mineur. Le principe étant son incapacité à passer des actes juridiques (hormis ceux qui sont courants, mais, par définition, la fin de vie n’en fait pas partie), on doit en conclure qu’il ne peut rédiger de directives anticipées. C’est regrettable. Pour deux raisons : d’une part, les directives anticipées ressemblent à un testament. Or, précisément, un mineur peut léguer la moitié des biens dont la loi permet au majeur de disposer. D’autre part, le statut du mineur est souvent comparé à celui du majeur sous tutelle. Les techniques de protection se ressemblent. Pourquoi ce qui est admis pour le majeur sous tutelle ne le serait-il pas aussi pour le mineur ? L’argument est, semble-t-il, d’ordre psychologique : il est humainement inconcevable qu’un adolescent se mettre à une table pour écrire des directives anticipées…

Troisième cas de figure, le patient a désigné une personne de confiance. C’est une faculté pour toute personne majeure de choisir quelqu’un de confiance pour s’exprimer, à sa place, sur les conditions de sa fin de vie. Il est écrit dans la nouvelle loi : « Toute personne » peut désigner…, donc y compris un patient qui ferait l’objet d’une mesure de protection (tutelle, curatelle), ce qui est une nouveauté. En revanche, cette possibilité semble exclue pour les mineurs. On retrouve la même difficulté rencontrée avec les directives anticipées. Le retranchement du mineur est contestable. Dans d’autres circonstances, le droit de la santé fait abstraction des règles sur l’autorité parentale et reconnaît au mineur la possibilité d’être acteur de sa santé, dès lors que son degré de maturité le permet. Tel est le cas, par exemple, de l’article L. 1111-2, alinéa 5, du CSP qui déclare que les mineurs ont « le droit de participer à la prise de décision médicale les concernant ». Mais l’obstacle psychologique déjà évoqué à propos des directives anticipées constitue probablement et légitimement un frein insurmontable. Par ailleurs, la nouvelle loi précise opportunément les conditions du recours à une personne de confiance. En amont, le médecin traitant s’assure, dans le cadre du suivi de son patient, que celui-ci est bien informé de cette possibilité. En amont toujours, au moment de son hospitalisation, il est proposé au patient de désigner une personne de confiance. La désignation ne vaudra alors que le temps de l’hospitalisation, à moins que le patient ne souhaite prolonger la mission. Quel que soit le moment où elle est faite, la désignation doit être passée par écrit et cosignée par celui qui est choisi. L’exigence est utile : la signature constitue un acte empreint de gravité qui permet à la personne de confiance de mesurer la dimension de la mission qui lui est conférée. Une fois désignée, la personne de confiance peut accompagner le patient dans ses démarches, assister aux entretiens médicaux et l’aider dans ses décisions. Le temps venu, c’est à la personne de confiance que le médecin s’adressera pour connaître les souhaits du patient pour sa fin de vie. Le témoignage de la personne de confiance prévaut sur tout autre témoignage. Le risque d’un conflit entre les dires de la personne de confiance et ceux des parents ou d’un proche du patient se résoudra en faveur de la personne de confiance. Toutefois, il n’est pas certain que cette nouvelle disposition législative résolve toutes les difficultés. En effet, rien n’est précisé quant à l’opposabilité du témoignage de la personne de confiance à l’égard des médecins, à la différence des directives anticipées qui sont obligatoires.

Quatrième cas, le patient n’a rien prévu. Plus précisément, le patient n’a prévu ni directives anticipées ni personne de confiance. Le médecin doit, malgré tout, s’enquérir de la volonté du patient. S’il ne peut l’exprimer lui-même, le médecin devra consulter la famille et les proches. Que faire en cas de division de ceux-ci ? On sait que, depuis l’affaire Vincent Lambert, ce n’est pas une hypothèse d’école et que, face à un tel problème, le médecin se trouve démuni.

Le médecin

Dans le respect de la dignité de la personne humaine, le médecin peut pratiquer une sédation profonde et continue.

L’intervention du médecin est placée sous le signe de la dignité : « Toute personne a le droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance », selon la nouvelle rédaction de l’article L. 1110-5 du CSP. Ce qui fait la dignité de l’homme, c’est qu’il est un être humain, qu’il fait partie de l’humanité. Plus précisément, la dignité implique que nul ne puisse être traité d’une telle façon que la valeur incomparable de sa vie en vienne à être niée, par exemple en le rabaissant à un « sous-homme ». La dignité est due à toutes les personnes humaines, sans exception. Concrètement, la dignité implique que le médecin veille à ce que son patient ne souffre pas, qu’il parte tranquillement. Quatre remarques à ce propos.

Premièrement, il s’agit d’une obligation de moyens. Le texte dit : « du meilleur apaisement possible ».

Deuxièmement, le législateur a préféré au terme « douleur » celui de « souffrance », parce qu’il englobe non seulement le mal physique, mais aussi l’épreuve psychologique (les angoisses) dans laquelle se trouve l’être humain à l’approche de sa mort.

Troisièmement, le médecin doit, dans l’ordre, commencer par prévenir la souffrance avant de la prendre en compte, de l’évaluer et de la traiter. Mettre ainsi la prévention de la souffrance au tout début est chargé de sens.

Quatrièmement, l’apaisement peut passer par une hospitalisation à domicile. Le médecin a l’obligation d’informer son patient de son droit de recevoir des soins palliatifs sous forme ambulatoire ou à domicile (art. L. 1110-5-3 CSP). Si le rôle du médecin est d’apaiser la souffrance, il est aussi d’entreprendre les traitements et les soins utiles ou, à l’inverse de les arrêter lorsqu’ils « apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie » (art. L. 1110-5-1 CSP). Par ailleurs, la loi du 2 février 2016 reprend un principe qui figurait déjà dans le Code de la santé publique, à savoir l’absence d’une obstination déraisonnable de la part du médecin. Dans sa nouvelle rédaction, le CSP dispose : « Les actes mentionnés à l’article L. 1110-5 [c.-à-d. les traitements et les soins] ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable » (art. L. 1110-5-1 CSP). La notion d’obstination est ambivalente. Elle peut être positive ou négative. Positivement, l’obstination est endurance, ténacité, persévérance, force d’âme. Négativement, l’obstination est acharnement, opiniâtreté, entêtement, récidive. « La vaillance a ses limites », disait Montaigne. L’obstination du médecin est louable lorsqu’il consacre toute son énergie à guérir. Elle est critiquable lorsqu’elle ne mène à rien, parce que la mort du patient est imminente. L’obstination est alors déraisonnable ; elle s’éloigne des « principes du sens commun », « des jugements de valeur généralement acceptés ».

 S’agissant de la sédation profonde, le CSP distingue selon que le patient peut ou non exprimer sa volonté de ne pas souffrir et de ne pas subir d’obstination déraisonnable. Si le patient peut exprimer sa volonté, le médecin peut procéder à une sédation profonde dès lors qu’il est atteint d’une affection grave et incurable, que son pronostic vital est engagé à court terme et qu’il présente une souffrance réfractaire aux traitements. Si le patient ne peut exprimer sa volonté, la possibilité pour le médecin d’engager une sédation profonde est conditionnée à la constatation que les traitements et les soins en cours relèvent d’une obstination déraisonnable. Le médecin déclenche alors une procédure collégiale, ce qui permet à l’équipe soignante de vérifier préalablement les conditions d’application de la loi. Il consulte les proches et la famille pour savoir quel aurait été le souhait du patient s’il avait été capable de s’exprimer.

Interrogé sur ce point dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision du 2 juin 2017 (n° 2017-632-QPC), que la possibilité pour le médecin de décider seul de l’arrêt des traitements, après avoir mis en œuvre la procédure collégiale et après avoir éventuellement consulté l’entourage du patient, ne portait nullement atteinte au principe de dignité de la personne humaine et à la liberté personnelle. Seule réserve posée par le Conseil constitutionnel dans sa décision précitée : la décision médicale d’arrêt des traitements doit être « notifiée aux personnes auprès desquelles le médecin s’est enquis de la volonté du patient », et ce « dans des conditions leur permettant d’exercer un recours en temps utile ».

La sédation profonde est incontestablement un point important et controversé de la loi du 2 février 2016. La question qui doit alors être posée est la suivante : la sédation profonde fait-elle pencher le curseur du côté du suicide assisté ? En l’état actuel du droit, la réponse est négative. En effet, la sédation profonde ne provoque pas en tant que telle la mort. Elle rend le mourant inconscient. C’est la maladie ou les traumatismes qui sont la cause du décès. Ensuite, la sédation profonde n’est accessible qu’aux personnes en fin de vie. Un mal être, une maladie grave, une incarcération à perpétuité, etc. ne peuvent en aucun cas justifier un tel acte. Enfin, l’euthanasie reste un homicide passible d’une peine de prison et d’une interdiction d’exercer la médecine. Certes, certains pays se sont engagés dans la voie de la dépénalisation, la Belgique notamment, mais au prix, selon certains, d’une atteinte au droit à la vie.

En conclusion, la législation sur la fin de vie a considérablement évolué en une quinzaine d’années. Certains auraient aller plus loin en permettant le suicide assisté. Le législateur ne les a pas suivis. Sagement, il est resté en deçà, acceptant l’éventualité d’une sédation profonde et continue. Légiférer sur cette question est particulièrement délicat. « Dans la progression des lumières croissantes, prophétisait Chateaubriand, nous paraîtrons nous-mêmes des barbares à nos arrière-neveux. »