Jean Leonetti : « Il va falloir légiférer sur les conditions de la sédation »

Jean Leonetti, député-maire d’Antibes (UMP) et auteur de l’actuelle loi sur la fin de vie, votée en 2005, vient de se voir confier par Manuel Valls la mission de préparer un nouveau projet de loi, en collaboration avec le député Alain Claeys (PS).

Jean Leonetti, député-maire d’Antibes (UMP) et auteur de l’actuelle loi sur la fin de vie, votée en 2005, vient de se voir confier par Manuel Valls la mission de préparer un nouveau projet de loi, en collaboration avec le député Alain Claeys (PS).

Dans La Vie du 2 juillet.
Propos recueillis par Joséphine Bataille
« Accompagner, ça s’apprend » Jean Leonetti

Le député Jean Leonetti annonce que sa mission ne concernera ni l’euthanasie ni le suicide assisté, mais sera centrée sur la question des souffrances de toute fin de vie, et sur les conditions de la sédation terminale. Un écho direct aux enjeux soulevés par le procès Bonnemaison.

Jean Leonetti, député-maire d’Antibes (UMP) et auteur de l’actuelle loi sur la fin de vie, votée en 2005, vient de se voir confier par Manuel Valls la mission de préparer un nouveau projet de loi, en collaboration avec le député Alain Claeys (PS). Après le procès Bonnemaison, où il était cité comme témoin, il revient pour La Vie sur les questions délicates qui y ont été soulevées, et condamne « la médecine archaïque » qui y a été représentée. C’est bien la prise en charge de l’agonie et les conditions de la sédation terminale, annonce-t-il, qui seront au cœur du travail qui lui a été confié avec son collègue député.

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Avez-vous été surpris par l’acquittement de Nicolas Bonnemaison ?

Je me l’explique. Un verdict est un point de vue global qui tient compte de circonstances particulières, d’une personnalité à la fois fragile et par certains côtés attachante, d’une intention qui était probablement de faire du bien. A cela s’est ajouté le fait que les gens à qui Nicolas Bonnemaison a donné la mort allaient mourir de toute façon (ce qui, soit dit en passant, pourrait plutôt rendre absurde l’objectif de leur donner la mort). Personne n’avait envie de le voir aller en prison. Mais pour autant, il faut bien comprendre que ce jugement est celui d’un cas particulier. Il n’est pas question que cela aboutisse à une jurisprudence à pouvoir donner la mort dans la solitude, à des gens qui ne le demandent pas et qui ne souffrent pas, sous prétexte que les familles sont d’accord.

ous avez été interrogé pendant le procès sur la correctionnalisation de faits tels que ceux reprochés à Nicolas Bonnemaison, qu’en pensez-vous ?

Je ne suis pas sûr qu’être jugé en correctionnelle serait favorable à l’accusé. Aux Assises, il y a de l’émotion, et cela compte beaucoup. Je ne pense pas qu’il faille changer le code pénal. Ce serait mettre le médecin dans une situation d’exception vis-à-vis de la loi générale. Le grand pouvoir qu’ont les médecins doit justement être tempéré par des règles. Pour moi, la façon de faire de Bonnemaison n’est pas celle d’une médecine en avance sur son temps. Il a agi comme on le faisait il y a quarante ans ! Et cette ribambelle de vieux médecins, qui se sont permis des choses invraisemblables et qui à la barre ont mis leur conscience en avant pour témoigner de leur facilité à donner la mort, sont bien loin de la pratique d’aujourd’hui, très éloignée de la médecine solitaire qu’ils ont décrite. J’ai été sidéré de voir cette médecine archaïque, qui n’a jamais appris les soins palliatifs, venir nous dire que donner la mort est compassionnel, et que cela ne relève pas de situations exceptionnelles mais d’une pratique courante ! Moi aussi quand j’étais interne, j’ai vu préparer des cocktails lytiques. À l’époque, c’étaient les médecins les plus humains qui agissaient ainsi, en effet ; les autres fermaient la porte. Mais aujourd’hui, on n’est pas obligé d’en passer par le curare.

Ce procès ne démontre-t-il pas la difficulté qu’il y a à juger de « l’intention » qui préside à une sédation terminale (soulager ou abréger la vie), point pourtant fondateur de la loi qui porte votre nom ?

Les sociétés médicales ont défini des règles de « bonnes pratiques », c’est-à-dire selon lesquelles on peut pratiquer la sédation en phase terminale sans basculer dans une pratique euthanasique. L’une de nos missions, à Alain Claeys et moi, va être de clarifier dans la loi les conditions auxquelles on peut pratiquer la sédation. Il faudra y faire apparaître des critères tels que le caractère imminent de la mort d’une part, et le fait que des traitements se sont avérés inopérants face à des souffrances inapaisables d’autre part. Il faudra aussi déterminer si la sédation est une possibilité, ou un droit opposable du malade, pour s’assurer qu’on ne puisse pas la refuser à celui qui se trouve dans les conditions pour en bénéficier.

En 2005, vous vouliez pourtant laisser les médecins à la fois libres et responsables, en leur indiquant seulement un principe d’action (soulager à tout prix, s’interdire le geste létal) ; il va falloir rentrer dans les détails médicaux ?

En effet quand la loi devient tatillonne, cela a aussi ses effets pervers. Mais on a déjà mis dans la loi la notion de « double effet ». Peut-être faut-il définir précisément ce qu’est le double-effet. Il nous faut décrire dans quelles conditions précises, lorsqu’on cherche à soulager un malade, les moyens que l’on utilise peuvent risquer de provoquer la mort. Il y a trop de flou.

Le vrai problème, ce sont les malades qui ne sont plus conscients, et dont on ne connaît pas le degré de souffrance potentielle puisqu’on ne peut plus les interroger pour adapter les traitements. Faut-il les mettre systématiquement sous sédatifs ? Faut-il faire des titrages élevés par précaution ? On a le devoir de garantir aux familles qu’ils ne souffrent pas, mais la question est celle des doses.

De l’autre côté, les soins palliatifs sont en train de se protocoliser beaucoup ; et le fait d’arriver en fin de vie confère presque systématiquement le droit, désormais, à la sédation et la morphine, sans qu’on se pose la question de la souffrance. Or si toute fin de vie est tristesse, elle n’est pas toujours souffrance, et tous les patients ne réclament pas cette double thérapeutique. Il faudra donc qu’on puisse rester dans le cas par cas.

Ce qui est certain, c’est que nous n’allons pas travailler la question de l’euthanasie ou du suicide assisté ; notre lettre de mission n’en fait même pas état, et je ne l’aurais pas accepté. Notre travail est d’essayer de répondre à la question des souffrances en toute fin de vie. On peut le faire en décidant de supprimer la phase terminale, ou alors en obligeant les médecins à soulager. Mais en phase terminale, rares sont les malades qui demandent à mourir ; ils demandent à être soulagés ! Alors il nous faut sortir de l’alternative entre « la mort » ou « rien ». Accompagner, ça s’apprend ![/glossary_exclude]